Table ronde de Brazzaville : genèse d’une réflexion stratégique
Il régnait, le 10 juillet dernier, dans un hôtel feutré du centre-ville de Brazzaville, l’atmosphère studieuse des rendez-vous où s’esquissent les virages de politique publique. Autour de la « table ronde consultative des parties prenantes sur l’après-pétrole », représentants ministériels, diplomates, ONG et universitaires ont posé un diagnostic sans fard : la rente pétrolière, encore majoritaire dans le PIB, ne suffit plus à sécuriser l’avenir congolais (ACI, 10 juillet 2023). Cet exercice de concertation, inédit par son amplitude, s’inscrit dans la lignée des orientations fixées par le président Denis Sassou Nguesso pour conjuguer stabilité macro-économique et impératifs climatiques.
Hydrocarbures, dividendes et nécessité d’une mutation économique
Depuis les premiers barils tirés du gisement offshore de Pointe-Noire, l’or noir a financé ouvrages d’infrastructures, programmes sociaux et réformes institutionnelles. Néanmoins, la volatilité des cours internationaux rappelle périodiquement la fragilité d’un modèle mono-exportateur. Le Fonds monétaire international estime que près de 60 % des recettes budgétaires dépendent encore des hydrocarbures. Face à cette corrélation, la directrice générale par intérim du développement durable, Olga Ossombi Mayela, plaide pour « écrire ensemble un nouveau chapitre fondé sur une économie verte, inclusive et résiliente », exprimant la volonté officielle de diversifier la base productive tout en conservant l’équilibre budgétaire.
Le potentiel solaire et hydraulique congolais sur l’échiquier régional
Le Congo bénéficie d’un ensoleillement moyen supérieur à 5 kWh/m²/jour sur la façade sud-atlantique et d’un réseau hydrographique dont l’Oubangui et le Congo constituent la colonne vertébrale. Selon l’Agence internationale de l’énergie, ces atouts classent le pays parmi les pôles d’excellence émergents d’Afrique centrale pour l’hydroélectricité de moyenne puissance et le photovoltaïque hors-réseau. Les autorités entrevoient, à horizon 2030, 40 % de capacité installée provenant de sources renouvelables, objectif compatible avec l’Accord de Paris et les Contributions déterminées au niveau national révisées en 2021.
Financement vert : attractivité des partenariats publics-privés
Transformer un potentiel en kilowattheures exige un montage financier sophistiqué. La Banque de développement des États de l’Afrique centrale travaille, avec le ministère de l’Économie et des Finances, à la structuration d’obligations vertes libellées en franc CFA, destinées à refinancer des centrales solaires pilotes dans les départements du Niari et de la Cuvette. Parallèlement, des acteurs privés, tels qu’Africa Sun et HydroCongo, envisagent des co-entreprises où l’État resterait actionnaire minoritaire, garantissant la compatibilité avec la loi sur le contenu local. Ces instruments, assortis de garanties multilatérales, visent à réduire la prime de risque et à épouser la trajectoire d’endettement soutenable définie par Brazzaville.
Implications sociales : formation, emploi et cohésion territoriale
Au-delà des mégawatts, la transition énergétique se mesure aux opportunités sociétales qu’elle fait naître. Le projet « Préparer l’après-pétrole au Congo » a déjà initié un recensement des compétences disponibles dans les universités de Brazzaville et de Pointe-Noire. Il en ressort un besoin de 4 000 techniciens solaires et 1 200 ingénieurs électromécaniciens d’ici cinq ans. Le ministère de l’Enseignement supérieur finalise, avec l’Agence française de développement, une réforme curriculaire pour verdir les filières scientifiques. Par ailleurs, la mise en service de microréseaux hybrides dans le Kouilou devrait améliorer l’accès à l’électricité rurale, renforçant la cohésion nationale – enjeu essentiel dans un pays où 45 % des habitants vivent encore hors du réseau interconnecté.
Vision gouvernementale à l’horizon 2030 : feuille de route pragmatique
À la clôture de la table ronde, le coordinateur de l’ONG Rencontre pour la paix et les droits de l’homme, Christian Mouzeo, a rappelé que « le monde s’oriente vers une transition énergétique inévitable ». L’administration congolaise en a fait un levier de diplomatie économique : validation prochaine d’une stratégie nationale des énergies renouvelables, guichet unique pour les investisseurs, et inscription de l’objectif neutralité carbone à l’échelle territoriale. Ce cap, salué par plusieurs partenaires bilatéraux, s’appuie sur la continuité institutionnelle voulue par le chef de l’État et sur la stabilité macro-financière acquise après la renégociation de la dette extérieure en 2021. En conciliant réalisme budgétaire et ambition climatique, Brazzaville entend se positionner comme pôle énergétique propre d’Afrique centrale, sans rompre avec les équilibres politiques qui assurent la prévisibilité recherchée par les bailleurs.