Bouansa sous l’émotion, une communauté confrontée à l’impensable
La ville de Bouansa, carrefour commercial du département de la Bouenza, s’est réveillée le 19 juin 2025 dans une stupeur que seule la rumeur d’un drame familial pouvait expliquer. Trois décès en l’espace de quelques heures – le père, la mère et le cadet – ont rapidement attiré l’attention des autorités sanitaires, rappelant que, loin des grandes agglomérations, la sécurité alimentaire demeure un sujet de préoccupation quotidienne. Les premiers constats médicaux évoquent l’ingestion d’une variété d’igname traditionnellement employée comme ichtyotoxique, donc destinée à l’étourdissement du poisson et non à la consommation humaine.
À la croisée de la tradition culinaire et de la toxicologie
L’igname, tubercule omniprésent dans le régime alimentaire congolais, comprend plus de six cents espèces répertoriées par les botanistes. Toutes ne sont pas comestibles. Dans certaines zones forestières, des populations utilisent encore, pour la pêche artisanale, des variétés riches en saponines et en alcaloïdes. Ces substances, réduites en poudre, créent un choc neurotoxique chez les poissons, facilitant leur capture. Selon les témoignages recueillis sur place, les membres de la famille endeuillée, fraîchement revenus des champs, auraient confondu cette espèce avec une autre, réputée sans danger. L’erreur, tragique, illustre l’étroite ligne de démarcation entre usage traditionnel et menace sanitaire.
Prise en charge rapide et mobilisation institutionnelle
Alertées dès les premières heures, les autorités locales ont procédé à l’évacuation d’urgence du père vers l’hôpital de base de Nkayi. Malgré des tentatives de stabilisation, le malade a succombé pendant le transfert. Le maire de la ville, de concert avec la Direction départementale de la santé, a ordonné l’isolement préventif des racines restantes et la surveillance des trois enfants, toujours en observation bien que leurs signes vitaux soient considérés comme rassurants. Cette réaction coordonnée témoigne de la priorité accordée par le gouvernement à la santé communautaire et de la capacité des services déconcentrés à intervenir rapidement même dans les zones semi-rurales.
Une dimension transfrontalière qui interpelle Brazzaville et Kinshasa
La famille endeuillée, originaire de la République démocratique du Congo, venait régulièrement vendre une partie de sa production agricole au marché de Bouansa. Cette mobilité révèle l’intense porosité de la frontière, privilège mais aussi défi pour la police sanitaire. Le ministère congolais en charge de la Coopération a signalé à son homologue de Kinshasa la nécessité d’une campagne d’information conjointe sur les plantes toxiques. Les échanges transfrontaliers, encouragés par l’Accord de la CICOS sur la libre circulation le long du bassin du Congo, appellent une mutualisation des procédures de contrôle phytosanitaire afin de prévenir de nouveaux incidents.
Renforcer la résilience rurale face aux intoxications alimentaires
Selon l’Organisation mondiale de la santé, près de 420 000 personnes décèdent chaque année d’intoxications alimentaires évitables, une proportion élevée étant localisée dans les zones tropicales. Le Congo-Brazzaville, engagé dans un Plan national de développement sanitaire 2022-2026, multiplie les ateliers de sensibilisation sur la transformation des tubercules et la détoxification par trempage. Toutefois, l’incident de Bouansa démontre qu’aucun dispositif, si structuré soit-il, ne peut réussir sans une diffusion accessible de la connaissance scientifique jusqu’au dernier kilomètre. Les programmes radiophoniques en langues locales, soutenus par le Centre national de la nutrition, constituent déjà un vecteur apprécié par les communautés villageoises.
Perspectives : diplomatie sanitaire et souveraineté nutritionnelle
Au-delà du chagrin immédiat, la tragédie de Bouansa questionne la souveraineté alimentaire, concept désormais central dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine. La maîtrise botanique des cultures vivrières n’est pas seulement une affaire de rendement économique : elle contribue à la stabilité sociale et, in fine, à la crédibilité internationale d’un État soucieux de protéger ses citoyens. En encourageant la recherche agronomique, en patronnant des partenariats avec l’Institut de recherche pour le développement et en favorisant l’échange d’informations avec les pays limitrophes, Brazzaville consolide un socle de diplomatie sanitaire que les partenaires multilatéraux observent avec intérêt.
Cap sur l’éducation nutritionnelle, gage de prévention durable
La prévention demeure la meilleure thérapeutique. La disparition de trois vies en plein cœur de la saison sèche rappelle l’urgence de renforcer les curricula scolaires en matière de biologie végétale et de pratiques alimentaires sûres. La modernisation des chaînes locales de vulgarisation agricole, adossée à un financement national et au soutien ponctuel de bailleurs tels que la Banque africaine de développement, ouvre une fenêtre d’opportunité pour ériger la culture de la sécurité alimentaire en réflexe citoyen. Sous réserve de cette pédagogie continue, l’igname – source de fierté culinaire et de résilience nutritionnelle – pourra conserver sa place dans la gastronomie congolaise sans faire courir de risques mortels.