Le port de Douala, artère vitale pour Bangui
Importer reste un exercice périlleux à Bangui. Chaque produit, du riz thaïlandais aux circuits électroniques, emprunte un itinéraire semé d’obstacles qui commence presque toujours sur les quais surchargés de Douala avant de s’enfoncer dans l’hinterland centrafricain.
En 2022, Bangui a payé environ 500 millions de dollars pour des marchandises venues de l’étranger. Les douanes centrafricaines confirment qu’environ 80 % de ce flux passe d’abord par le principal port camerounais, preuve tangible d’une dépendance logistique structurelle.
Le choix de Douala tient à la profondeur du port, à la fréquence des lignes maritimes et à l’expertise des transitaires. Mais les camions doivent ensuite avaler 1 450 kilomètres de bitume irrégulier et de pistes boueuses, rallongeant délais et factures.
Infrastructures routières : un couloir fragile
Entre Bertoua et Garoua-Boulai, chaque saison des pluies transforme la RN1 en ruban glissant où s’embourbent les semi-remorques. La moindre rupture d’un pont peut immobiliser des centaines de conteneurs, faisant grimper les frais de stationnement.
« Je choisis l’itinéraire le moins cher, mais si la route ferme deux jours, tout mon capital s’évapore », confie Warren Serech, vendeur de sneakers rencontré sur le marché Km5 à Bangui. Son constat illustre l’équation sans marge de manœuvre des petits revendeurs.
Coûts logistiques et impact sur le pouvoir d’achat
Fret maritime ou aérien ? La première option coûte moins au kilo mais peut immobiliser la marchandise quatre mois. La seconde réduit le délai à dix jours, mais un carton de smartphones arrive alourdi de tarifs plus élevés que sa valeur d’achat initiale.
Un transitaire de Douala explique qu’un conteneur vingt pieds atteint fréquemment 7 000 dollars, contre 4 500 avant la crise sanitaire. À l’arrivée, droits de douane, dépôt de garantie et multiples redevances peuvent représenter jusqu’à 30 % du prix final du produit (Banque mondiale 2023).
Cette cascade de frais se répercute directement sur le panier des ménages. Selon l’Institut centrafricain de la statistique, la facture alimentaire urbaine a progressé de 12 % en un an, stimulée par ces charges logistiques incompressibles.
Les stratégies d’adaptation des importateurs centrafricains
Pour préserver leurs marges, les commerçants réduisent la taille des commandes et tournent plus vite leurs stocks. La rotation accélérée limite l’immobilisation de capital, mais elle exige une trésorerie toujours disponible et un accès fluide aux services bancaires internationaux.
« Envoyer les fonds en Chine pour acheter des PC prend parfois deux semaines, et je paie des frais bancaires élevés », déplore Junior Ouamale, entrepreneur en informatique. Ces lenteurs financières s’ajoutent aux contrôles physiques multiples, rallongeant encore le temps entre la commande et la mise en rayon.
Les autorités entendent simplifier la procédure. Un responsable du ministère des Finances assure que la plateforme dématérialisée Sydonia, déjà opérationnelle, réduira de 48 heures le délai moyen de dédouanement en 2024. Les opérateurs attendent des résultats tangibles avant d’y croire.
Dans la sous-région, la CEMAC planche sur un tarif extérieur commun et une harmonisation des formalités. Les diplomates espèrent qu’un guichet unique régional réduira les doublons administratifs et améliorera la prévisibilité des coûts.
Vers une diversification des corridors commerciaux
Bangui explore des axes alternatifs. Le corridor Pointe-Noire-Ouesso, au Congo, puis la RN2 vers la frontière centrafricaine, séduit par son accès à l’Atlantique. La modernisation de la voie ferrée Congo-Océan, soutenue par la Banque africaine de développement, pourrait abaisser le temps de transit de quinze jours.
Un accord logistique signé à Brazzaville prévoit déjà l’installation de zones tampons à Impfondo pour réduire les files d’attente douanières. « Nous voulons offrir à nos voisins un passage compétitif », souligne un haut fonctionnaire congolais, optimiste quant aux retombées régionales.
La République centrafricaine s’intéresse aussi au corridor soudanais via Port-Soudan, bien que l’instabilité sécuritaire retarde sa concrétisation. En attendant, Douala demeure incontournable, mais la concurrence de nouveaux trajets pourrait en faire baisser les tarifs.
La digitalisation des formalités, impulsée par la Banque mondiale et la GIZ, avance. Des manifestes électroniques remplacent progressivement les carnets papier, limitant les fraudes et raccourcissant les escales à la douane.
Malgré les risques, les entrepreneurs centrafricains affichent une résilience remarquable. Chaque convoi qui franchit la rivière Oubangui témoigne d’un secteur privé résolu à maintenir le commerce, condition sine qua non d’une croissance inclusive et d’une souveraineté économique retrouvée.
