Dynamique des marchés pétroliers mondiaux
La brusque montée des tensions entre la République islamique d’Iran et l’État d’Israël, ponctuée d’échanges de rhétorique offensive et de frappes ciblées par procuration, a ravivé la fébrilité habituelle des opérateurs sur les marchés à terme. Le baril de Brent a enregistré, début avril, une envolée de l’ordre de 17 %, avant de refluer sous l’effet des fondamentaux. Le ministre camerounais des Finances, Louis Paul Motaze, a toutefois rappelé que « les grandes installations de raffinage iraniennes n’ont pas été touchées, limitant le choc d’offre ». Cet élément rassurant, conjugué à la persistance de stocks commerciaux confortables dans l’OCDE, a contribué à dégonfler la prime de risque dès la seconde semaine de la crise.
Résilience des chaînes d’approvisionnement régionales
Au-delà des cours bruts, la question cruciale pour les pays importateurs africains demeure la continuité logistique. Or, les flux de brut à destination des raffineries de Limbé ou de Pointe-Noire s’appuient principalement sur des cargaisons d’Afrique de l’Ouest et de la mer du Nord. « Nos terminaux d’approvisionnement se situent loin du détroit d’Ormuz, passage obligé de 20 % du pétrole mondial, donc loin de la ligne de front », souligne un cadre de la Société nationale des hydrocarbures du Cameroun. Les armateurs ont certes appliqué une surprime d’assurance, mais celle-ci reste marginale au regard du coût global du fret.
Politiques fiscales et amortisseurs budgétaires au Cameroun
La stabilité visible à la pompe doit aussi beaucoup au mécanisme de lissage budgétaire mis en place par Yaoundé depuis 2022. Après la crise ukrainienne, le gouvernement avait relevé modérément les prix administrés tout en créant un fonds de stabilisation alimenté par une part de la rente pétrolière domestique. Cet instrument, qui s’apparente aux « cousins » créés au Congo-Brazzaville au début des années 2000, permet d’absorber les chocs conjoncturels sans transférer immédiatement les hausses sur le consommateur. D’après le Trésor public, près de 180 milliards de francs CFA ont déjà été mobilisés depuis janvier pour neutraliser la récente poussée du Brent.
Synergies énergétiques entre Yaoundé et Brazzaville
Le maintien d’un environnement tarifaire maîtrisé en Afrique centrale ne relève pas seulement de décisions nationales isolées ; il traduit également l’effet de coordination au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). La République du Congo, producteur net, a accru de 9 % ses livraisons de brut léger à ses voisins, contribuant de facto à sécuriser l’approvisionnement régional sans renchérir les différentiels. Un conseiller du ministère congolais des Hydrocarbures rappelle que « la vision du président Denis Sassou Nguesso est d’inscrire l’or noir au service de la cohésion sous-régionale ». Cette solidarité pétrolière, souvent passée sous silence, joue un rôle tampon au moment où la géopolitique moyen-orientale se complexifie.
Perspectives à moyen terme pour la zone CEMAC
À court terme, la volatilité géopolitique devrait demeurer l’apanage du Moyen-Orient, mais les analystes de l’Agence internationale de l’énergie jugent peu probable une rupture durable de l’offre tant que les installations saoudiennes et émiriennes restent hors de portée. Pour la zone CEMAC, l’enjeu principal sera plutôt la modernisation des capacités de raffinage afin de réduire la dépendance aux produits finis importés. Le projet d’extension de la Congolaise de Raffinage, soutenu par des financements sino-émiratis, et la réhabilitation en cours de la Société nationale de raffinage camerounaise, laissent entrevoir des gains d’autonomie significatifs d’ici 2026.
Reste la variable monétaire. Un durcissement de la politique de la Réserve fédérale pourrait renchérir la facture énergétique en dollars et contraindre les gouvernements à arbitrer entre subvention et investissement. Toutefois, la conjonction d’une discipline budgétaire renforcée – saluée par le Fonds monétaire international lors de sa dernière revue – et de perspectives d’exportations gazières accrues place la sous-région dans une position relativement enviable.
En définitive, si la crise iranienne rappelle la vulnérabilité structurelle des marchés globaux, l’Afrique centrale démontre, pour l’heure, qu’une combinaison de diversification logistique, de coordination régionale et de gouvernance macro-budgétaire peut neutraliser les secousses externes. Dans une conjoncture où l’opinion publique est sensible au moindre surcoût énergétique, cette stabilité à la pompe représente un dividende politique non négligeable, tout en offrant aux diplomaties de Yaoundé et de Brazzaville un argument supplémentaire pour plaider en faveur d’un multilatéralisme énergétique apaisé.