Un drame qui endeuille l’Ituri et mobilise les chancelleries
Dans la nuit du 11 juillet, les murs de la petite église catholique de Komanda, à une centaine de kilomètres de Bunia, ont résonné non pas des cantiques, mais des rafales d’armes automatiques. Trente-huit fidèles ont succombé sous les balles, auxquels se sont ajoutées cinq victimes dans le hameau voisin de Machongani. La précision des tirs, le caractère nocturne de l’assaut et la fuite éclair des assaillants orientent les soupçons vers les Forces démocratiques alliées, ou ADF, groupe déjà pointé du doigt par l’état-major congolais. Les témoignages décrivent un carnage méthodique visant hommes, femmes et enfants réunis pour une veillée de prières. L’onde de choc, immédiate dans les diocèses de la région, a rapidement franchi les frontières, entraînant condamnations fermes de Kinshasa, de Kampala et de plusieurs capitales partenaires.
La Mission des Nations unies pour la stabilisation au Congo (MONUSCO) a évoqué « une spirale de violence de plus en plus insoutenable » et prédit que l’attaque « exacerbera une situation humanitaire déjà alarmante ». Sur le terrain, les acteurs humanitaires craignent des déplacements supplémentaires dans une province où l’on dénombre déjà, selon l’OIM, plus de deux millions de personnes en mouvement.
Les racines transfrontalières de l’ADF, entre Ouganda et Congo
Pour saisir la résilience de l’ADF, il faut remonter aux années 1990 en Ouganda. Née de la contestation de factions musulmanes contre le régime de Kampala, l’organisation a peu à peu migré dans les forêts congolaises après les opérations conjointes ougandaises qui l’en avaient délogée. En 2019, elle prête allégeance à l’État islamique, y trouvant à la fois une bannière idéologique et une source de ressources symboliques. Depuis, les communiqués en ligne de la nébuleuse djihadiste revendiquent régulièrement les opérations menées en Ituri ou au Nord-Kivu.
L’imbrication du sanctuaire forestier, des pistes transfrontalières et des trafics miniers assure au mouvement une profondeur stratégique. Le contrôle de petits gisements aurifères et l’« impôt révolutionnaire » perçu sur les paysans constituent une manne qui échappe en grande partie à la surveillance budgétaire des États riverains.
Conjoncture sécuritaire : la diversion profite à la guérilla
Le timing de l’attaque n’échappe pas aux analystes : il intervient alors que l’attention diplomatique se concentre sur la progression du Mouvement du 23 mars (M23) plus au sud. « L’ADF exploite la dispersion des forces loyalistes, happées par la pression médiatique autour du M23 », observe Onesphore Sematumba, chercheur à l’International Crisis Group. Les opérations conjointes FARD C-UPDF lancées fin 2021 ont certes démantelé quelques bases, mais au prix d’un effet de “billes de mercure” : les combattants se dispersent, se régénèrent et frappent les zones les moins protégées.
Cette situation aboutit à un paradoxe sécuritaire. Plus Kinshasa multiplie les fronts – Ituri, Nord-Kivu, Sud-Kivu –, plus chaque front devient poreux. L’armée congolaise, déjà sollicitée pour garantir les couloirs d’évacuation du coltan et de l’étain, peine à projeter durablement des unités dans la brousse iturienne. Les autorités locales redoutent que la psychose née de la tuerie religieuse alimente à nouveau les milices d’autodéfense communautaires, au risque de réveiller d’anciens antagonismes Hema-Lendu.
La question humanitaire, angle mort des réponses régionales
Au delà de la traque militaire, l’attaque de Komanda rappelle l’urgence de mesures de protection civile robustes. Les couloirs humanitaires demeurent précaires, ponctués de check-points peu coordonnés entre l’armée congolaise, la MONUSCO et les forces ougandaises. « Nous assistons à une dégradation continue de l’accès aux soins primaires et à l’éducation, autant de facteurs de vulnérabilité que l’ADF instrumentalise pour recruter », alerte un responsable de Caritas Afrique centrale, joint depuis Kinshasa.
Dans ce climat d’exode, l’acheminement de vivres par le corridor Beni-Komanda subit régulièrement des coupures. Les partenaires bilatéraux évoquent la possibilité d’un pont aérien humanitaire, mais les ONG rappellent que la sécurité des pistes d’atterrissage secondaires, comme celle de Mambasa, reste conditionnée à une présence militaire crédible.
Diplomatie préventive et responsabilité partagée
Le Conseil de sécurité s’apprête à renouveler le mandat de la MONUSCO. Plusieurs chancelleries africaines défendent une approche dite « 3D » – défense, développement, diplomatie – percevant dans l’attaque de Komanda le symptôme d’un vide de gouvernance. Les capitales des Grands Lacs redoutent l’effet de contagion : la porosité frontalière ouvre la perspective d’une installation durable de réseaux extrémistes dans les marges soudano-centrafricaines.
La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) prépare en conséquence un plan d’action axé sur le partage de renseignements en temps réel et la traçabilité des flux miniers. Les diplomates soulignent qu’au-delà de l’urgence sécuritaire, seule une relance des projets d’infrastructures régionales – route Kisangani-Beni, interconnexion électrique Ruzizi III – créera les conditions d’un développement inclusif susceptible de tarir le vivier de la guérilla.
Renforcer la protection des lieux de culte, un impératif moral
L’attaque contre la communauté catholique constitue un tournant symbolique. Les églises, longtemps perçues comme sanctuaires inviolables, deviennent cibles privilégiées d’une stratégie médiatique destinée à marquer les esprits. Le diocèse de Bunia appelle à la mise en place d’unités de vigiles formées par la police nationale et à l’installation d’éclairages solaires autour des paroisses rurales. Si le gouvernement congolais a annoncé, via le ministre de la Communication, une « réévaluation des points sensibles », les partenaires internationaux pourraient appuyer un programme destiné à sécuriser les lieux de culte et les écoles, sur le modèle des « zones protégées » expérimentées au Mali.
La prudence des chancelleries prévaudra toutefois : toute initiative doit éviter d’accroître la militarisation des villages, au risque de brouiller la distinction entre civils et combattants. L’efficacité passe donc par une coopération resserrée entre autorités locales, clergé et missions de la société civile.
Perspectives : contenir l’escalade pour éviter la fragmentation
Au lendemain de Komanda, la question centrale demeure celle de la cohérence stratégique. La présence de forces régionales doit s’accompagner d’indicateurs mesurables sur la réduction des violences contre les civils. La traque militaire de l’ADF ne suffira pas si elle n’est pas synchronisée avec des réformes attendues depuis longtemps, notamment l’assainissement de la chaîne logistique des FARD C et la relance du programme de Désarmement, Démobilisation, Relèvement communautaire et Stabilisation (P-DDRCS).
La dernière attaque rappelle aux décideurs qu’il n’existe pas de trêve sacrée pour les groupes armés cherchant à inscrire leur signature dans la douleur des populations. Sa portée dépasse le bourg de Komanda : elle place la communauté internationale face à son obligation de solidarité, tout en soulignant que la clé d’une paix durable réside avant tout dans la résilience des institutions nationales et dans l’engagement continu des partenaires régionaux.