Un carnage nocturne à Komanda
Au cœur de la nuit, dans la petite ville de Komanda, le silence de la veillée pascale a brutalement cédé la place aux rafales d’armes automatiques. Les assaillants, identifiés par l’état-major congolais comme appartenant aux Forces démocratiques alliées, ont fait irruption dans l’église paroissiale vers 1 h du matin. Bilan provisoire : trente-huit victimes à l’intérieur même du lieu de culte, auxquelles s’ajoutent cinq habitants d’un hameau voisin, surpris dans leur sommeil. Les témoignages recueillis décrivent « un choc absolu », d’autant plus poignant que les victimes comptent de nombreuses femmes et enfants.
ADF : genèse et mutation d’une insurrection
Né dans l’ouest de l’Ouganda dans les années 1990, le mouvement ADF a progressivement trouvé refuge dans les forêts denses de l’est congolais. Depuis son allégeance proclamée à l’État islamique en 2019, la faction s’est dotée d’une rhétorique jihadiste que corroborent ses modes opératoires : attaques éclairs visant des civils isolés, stratégie de la terreur destinée à disloquer le tissu communautaire et à discréditer l’autorité de Kinshasa. Si l’idéologie sert aujourd’hui de bannière, l’économie clandestine – bois précieux, orpaillage, charbon de bois – demeure le moteur financier d’une guérilla désormais diffuse.
Le défi sécuritaire pour la RDC et ses voisins
La République démocratique du Congo fait face à plus d’une centaine de groupes armés, héritage lointain des convulsions régionales consécutives au génocide rwandais de 1994. Les offensives conjointes lancées fin 2021 par les armées congolaise et ougandaise ont certes fracturé plusieurs bastions rebelles, mais les analystes estiment que cette dispersion s’accompagne d’une hausse des représailles contre les civils. À New York, les services de la MONUSCO décrivent désormais une « cartographie mouvante » des violences, compliquant d’autant la protection des populations.
Brazzaville, médiateur discret mais vigilant
À Brazzaville, de l’autre côté du fleuve Congo, les dirigeants suivent avec attention l’évolution de la situation. Le président Denis Sassou Nguesso, doyen des chefs d’État de la sous-région, a renouvelé dès lundi ses « condoléances émues » au peuple frère du Congo-Kinshasa, tout en appelant à « une réponse coordonnée, respectueuse de la souveraineté de chacun ». Selon une source diplomatique congolaise, Brazzaville a intensifié ses échanges avec Kampala et Kinshasa afin de faciliter la circulation du renseignement et de soutenir, dans un cadre multilatéral, les mécanismes de riposte humanitaire.
Cette posture s’inscrit dans la tradition de médiation que le Congo-Brazzaville cultive au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. En 2023 déjà, la capitale congolaise avait accueilli une table ronde discrète entre représentants militaires congolais, ougandais et soudanais, dans l’objectif de partager de bonnes pratiques en matière de lutte contre la radicalisation dans les zones transfrontalières.
Vers une approche régionale rénovée
Au regard de l’échec apparent des solutions purement sécuritaires, plusieurs chancelleries africaines et européennes plaident désormais pour une articulation plus ambitieuse entre efforts militaires ciblés, programmes de développement inclusif et initiatives de justice transitionnelle. Le ministre congolais de la Coopération relative aux grands travaux a d’ailleurs rappelé, lors d’un récent forum à Pointe-Noire, que « la stabilisation de l’Est congolais conditionne la tranquillité de tout le bassin du Congo ».
Dans ce contexte, la tenue prochaine à Brazzaville d’un sommet extraordinaire sur la paix et la sécurité dans la région des Grands Lacs pourrait offrir une tribune propice à l’adoption d’une feuille de route commune. Les attentes humanitaires sont fortes : l’attaque de Komanda porte à plus de 600 le nombre de civils tués en Ituri depuis le début de l’année, selon les organisations locales. Pour de nombreux observateurs, la capacité de la sous-région à conjuguer diplomatie préventive, lutte contre l’impunité et soutien économique déterminera la résilience durable des communautés frappées par la violence.