Ce qu’il faut retenir
Personnage central du conflit sahélien, Iyad Ag Ghali a transformé un parcours de rebelle touareg en véritable capital politique. Fin stratège, il mise sur l’implantation locale plutôt que sur les attaques occidentales, fédérant autour de lui un front djihadiste à agenda d’abord malien.
Origines touarègues et formation libyenne
Né vers 1955 au sein de la tribu ifoghas du nord-est malien, Iyad quitte tôt les plaines de Kidal pour la Libye. Dans la légion islamique de Mouammar Kadhafi, il apprend le maniement des armes sur les fronts libanais puis tchadiens, expérience décisive pour ses ambitions futures.
Premiers faits d’armes au nord Mali
Revenu en 1987 après la dissolution de la légion, il prend la tête du Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad. L’assaut contre la gendarmerie de Ménaka le 28 juin 1990, qui coûte la vie à plusieurs policiers maliens, l’installe comme adversaire redouté de Bamako.
Alliances tissées avec Alger
La médiation algérienne de 1991 à Tamanrasset fait de lui l’interlocuteur privilégié des services de renseignement d’Alger. En signant l’accord de paix, Iyad bénéficie d’un double dividende : crédibilité auprès de Bamako et soutien discret du Département du renseignement et de la sécurité algérien, qui voit en lui un relais d’influence.
La mue religieuse salafiste
Entre 1997 et 1998, des prédicateurs du Jamaat al-Tabligh séjournent à Kidal. Longs échanges, retraite à Peshawar : Iyad se radicalise, adopte tenue blanche et ascèse stricte. « Il ne dormait plus qu’en mosquée », rappelle le chercheur Pierre Boilley, tandis qu’un ex-officier malien évoque « une bascule sous-estimée ».
Nomination diplomatique puis retour clandestin
Perçu comme utile, le président Amadou Toumani Touré le nomme consul à Djeddah en 2007. Le séjour tourne court : contacts salafistes et soupçons de financement entraînent son expulsion en 2010. De retour au Mali, il navigue entre négociations d’otages et rapprochement avec les katibas liées à Al-Qaïda.
Naissance d’Ansar Dine et du GSIM
En 2012 il lance Ansar Dine puis, en 2017, fédère quatre katibas touareg, peule et arabe dans le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Structure pyramidale calquée sur le modèle taliban, le GSIM dispose d’un Majlis al-Ayan décisionnel et d’une choura élargie, où Iyad n’est qu’« un mollah délégué ».
Une gouvernance d’influence locale
Le GSIM consolide son emprise en apportant eau, sécurité de transhumance et justice coutumière. Des rançons, estimées entre 10 et 18 millions d’euros pour la libération de Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé en 2020, financent ces services, renforçant la loyauté de villages désertés par l’administration.
Agenda national, stratégie régionale
Contrairement à l’EIGS, le mouvement d’Iyad ne vise ni Paris ni New York. Son objectif proclamé est malien, nigérien et burkinabè : expulser Barkhane, la MINUSMA et toute force étrangère. La double attaque de 2018 contre l’ambassade de France et l’état-major burkinabè illustre ce ciblage.
Paris et la fin de Barkhane
Qualifié d’« ennemi public numéro un » par Emmanuel Macron, Iyad célèbre toutefois le retrait progressif français. « Ils sont galvanisés par la victoire des talibans », analyse Tiébilé Dramé. Pour les katibas, le départ de Tessalit, Kidal et Tombouctou représente une demi-victoire annonciatrice d’un possible scénario afghan.
Passerelles vers l’État malien
En 2017 à Mopti, Amadou Koufa, allié d’Iyad, propose des négociations sous l’égide d’Alioune Nouhoum Diallo. L’initiative montre que, malgré la violence, le GSIM reste attentif à la fenêtre politique et à la possibilité d’un règlement interne, sans renoncer à ses revendications islamiques.
Regards croisés et perception locale
Au delta central, « les populations ont autant peur de l’armée malienne que des hommes d’Amadou Koufa », confiait Alioune Nouhoum Diallo. Ce climat favorise l’enracinement d’un acteur capable d’arbitrer conflits fonciers et d’assurer la mobilité pastorale, fonction jadis assumée par l’État.
Un pion incontournable du Sahel
Les réseaux tentaculaires d’Iyad, son refuge dans le Sud algérien et sa capacité à changer d’alliance en font une pièce maîtresse de tout règlement. Pour Alger, il demeure un levier; pour Bamako, un interlocuteur imposé; pour Paris, une menace mouvante échappant aux frappes ciblées.
Et après ?
La bataille de perceptions est loin d’être achevée. Tant que l’État malien n’offrira pas de services plus attractifs que ceux du GSIM, l’influence d’Iyad Ag Ghali restera forte. Un règlement durable passera sans doute par une combinaison d’intégration politique, pression militaire et réponses socio-économiques adaptées au désert.
