Un nouvel épicentre financier entre canal du Mozambique et Mascareignes
Des vents alizés au canal du Mozambique, la cartographie économique de l’Océan Indien est bousculée par une cohorte de dirigeants trentenaires et quadragénaires formés entre Paris, Johannesburg et Singapour. À Antananarivo comme à Moroni, ces femmes et ces hommes ont hérité d’écosystèmes bancaires longtemps tournés vers le seul marché domestique. Ils privilégient désormais une logique de hubs connectés, ouverte à la sphère francophone mais aussi aux capitaux asiatiques, moyen-orientaux et sud-africains. Le consensus qui se dégage consiste à ancrer la place malgache au cœur d’un « triangle vert » reliant Maurice, l’Union des Comores et la côte est-africaine, tout en maintenant un dialogue fluide avec les régulateurs de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, espace auquel le Congo-Brazzaville apporte une profondeur financière complémentaire.
Des profils cosmopolites au service d’une gouvernance ESG
Hugues Bonshe Makalebo, directeur général de Baobab Banque Madagascar, s’affirme comme le pivot d’une culture de place soucieuse de conformité et d’exigence environnementale. Sa double casquette de banquier et de président de l’Association professionnelle des banques lui permet d’aligner la régulation locale sur les meilleures pratiques de Bâle III, tout en fléchant le crédit vers l’agro-industrie raisonnée ou les énergies renouvelables, secteurs explicitement encouragés par la Banque mondiale (Rapport Doing Business 2024). Dans le même registre, Antoine Evrad Evouna Ossi, appelé à la rescousse de BGFI Bank Madagascar, déploie un plan de redressement qui impose des indicateurs extra-financiers dès la prise de garantie. L’option est assumée : la performance future de la banque sera jugée non seulement à la marge nette d’intérêt mais aussi à son score carbone.
La bancassurance comme vecteur d’inclusion financière régionale
Le binôme formé par Ina Kadiatou Diallo et Abissa Vance promeut un modèle intégré, encore rare dans l’océan Indien, où l’épargne populaire reste sous-bancarisée. AFG Bank et AFG+ Assur capitalisent sur la portabilité numérique : une même application mobile permet à l’artisan de Tamatave, au pêcheur de Morondava ou à la commerçante de Port-Louis de souscrire un micro-crédit et de couvrir son activité contre les aléas cycloniques. L’argument est aussi géopolitique ; en abaissant le coût du risque, la bancassurance renforce la résilience d’économies insulaires vulnérables au changement climatique, nourrissant in fine la stabilité de toute la façade sud-ouest de l’océan Indien.
Digitalisation et BPO : l’atout compétitif des îles
L’essor du Business Process Outsourcing, incarné par Guy Foka chez Konecta Madagascar, modifie la matrice de revenus des banques locales. Les centres de relation clients hébergent désormais des services de scoring, de KYC et de back-office pour des établissements européens, ce qui externalise un savoir-faire IT précieux sur une main-d’œuvre francophone. La convergence entre fintechs, opérateurs télécoms et banques traditionnelles est telle que l’île Rouge se présente comme un laboratoire de solutions instant payment pour toute la zone. L’arrivée d’Anne-Catherine Tchokonté à la tête d’Airtel Money accentue cette hybridation ; le mobile-money passe de la recharge prépayée au placement de trésorerie sécurisé, démarche observée avec attention par les superviseurs de la Banque centrale des États de l’Afrique centrale qui y voient un précédent exportable vers Brazzaville ou Pointe-Noire.
Une diplomatie économique aux accents panafricains
Dr Gervais Atta, responsable de la commission affaires internationales du Groupement des entreprises de Madagascar, négocie de nouveaux corridors cervicaux entre l’océan Indien et le Golfe de Guinée. Lors de la visite du Medef International en avril 2024, il a insisté sur la complémentarité logistique entre le port en eau profonde de Kribi et celui de Tamatave, offrant une plateforme de transbordement sans concurrence directe. Cette logique de « double façade » renvoie aux analyses de la CNUCED : les flux Est-Ouest restent majoritaires, mais la croissance la plus rapide provient de l’axe Afrique-Afrique. En filigrane se dessine un soft power financier où la conformité règlementaire, la notation verte et le bilinguisme opèrent comme des armes d’influence douce, rebattant, sans heurt, les hiérarchies héritées de l’époque post-coloniale.
Un archipel de possibilités pour la décennie 2025-2035
Les succès individuels de Marieme Sav Sow chez TotalEnergies Marketing Madagasikara ou de Hossen Sako dans le secteur énergétique attestent de la profondeur du vivier managérial indianocéanique. Selon la Banque africaine de développement, le taux de bancarisation de Madagascar pourrait passer de 29 % à 45 % d’ici à 2030 si les investissements captifs continuent de croître au rythme actuel. L’équation reste toutefois sensible à la fluidité du négoce de devises et à la stabilité réglementaire, dimensions sur lesquelles les places financières émergentes – Brazzaville incluse – peuvent offrir un appui technique renforcé. En définitive, la montée en puissance de cette génération démontre qu’un capitalisme insulaire, articulé autour de la finance responsable et de la connectivité digitale, peut jouer un rôle disproportionné dans l’équilibre économique de l’Afrique subsaharienne et de l’Asie du Sud-Ouest.