Retrouvailles prudentes dans un Sud-Kivu meurtri
Le retour de Joseph Kabila dans les collines brumeuses de Bukavu n’a pas relevé du folklore. Accueilli sans bain de foule mais sous l’œil aigu de la société civile, l’ancien président a inauguré une nouvelle salve de consultations populaires après un mois dense à Goma. À l’épicentre d’un conflit trentenaire, la ville se révèle à la fois laboratoire de résilience et baromètre des frustrations. Les chefs coutumiers, premiers interlocuteurs, ont rappelé l’urgence de contenir la spirale des violences. « Tous les protagonistes sont nos enfants », a insisté le Mwami Nkongolo, articulant la nécessité d’une démarche endogène qui échappe aux injonctions de la capitale.
Dans cette province où chaque colline porte la trace d’un groupe armé, le terme même de “consultation” sonne différemment. Les ONG locales, traumatisées par les promesses non tenues, ont salué un geste certes tardif, mais jugé crédible au regard de l’épaisseur politique du visiteur. Les rumeurs d’un agenda caché ont néanmoins prospéré, la méfiance étant un réflexe de survie au Sud-Kivu.
L’héritage sécuritaire de l’ancien raïs à l’épreuve du terrain
Joseph Kabila connaît par cœur la topographie humaine et minérale des Kivu. Président durant dix-huit ans, il avait lancé le Programme de stabilisation et de reconstruction (STAREC) et négocié les accords dits de Goma en 2009. Ces initiatives, jugées partielles, n’ont pas inversé la dynamique des armes, mais elles ont laissé chez certains acteurs locaux le souvenir d’un pouvoir capable d’arbitrage. « Il a une expérience unique des groupes armés, il a déjà parlé au M23 hier, il peut parler à d’autres demain », confie un diplomate européen en poste à Kinshasa.
Cet héritage reste cependant ambivalent. Les observateurs internationaux rappellent qu’une partie des effectifs du M23 d’aujourd’hui sont issus d’anciens accords d’intégration négociés sous sa présidence. Le pari actuel consiste à transformer des passerelles jadis militaires en leviers civils d’apaisement. Le succès dépendra moins de la seule posture de l’ancien chef de l’État que de la capacité des institutions congolaises à sécuriser durablement un espace où la permutation des groupes armés s’est muée en économie parallèle.
La jeunesse, variable stratégique d’un projet de paix endogène
Au cœur de la matinée, les délégations de jeunes ont occupé le salon exigu d’une résidence d’État surplombant le lac Kivu. Étudiants, mouvements citoyens et pasteurs de la nébuleuse évangélique ont porté une même revendication : être associés à la définition d’un cessez-le-feu social, pas uniquement militaire. Amos Bisimwa, figure influente du conseil urbain de la jeunesse, rapporte avoir reçu « un appel clair à la responsabilité générationnelle ».
En soutenant ouvertement le schéma de médiation proposé par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et l’Église du Christ au Congo (ECC), Kabila capitalise sur deux institutions jouissant encore d’un crédit moral rare dans le pays (La Croix Africa). Pour la frange la plus politisée de la jeunesse, l’enjeu dépasse l’arrêt des combats : il s’agit de se frayer une place dans la future architecture institutionnelle que pourrait consacrer un dialogue inclusif.
Le Barza intercommunautaire, pivot d’une réconciliation fragile
La dernière séquence de la journée a réuni le Barza intercommunautaire pour la paix, organe de médiation locales tissé au fil des crises foncières et identitaires. Musole Maharaza, son président, s’est dit « satisfait » de la disponibilité affichée par l’ancien dirigeant tout en déposant un mémorandum de onze pages pressant sur la sécurisation des axes routiers et le retour des déplacés internes.
Le Barza, reconnu par les Nations unies comme instrument de résolution communautaire, attend de Kabila non pas de simples cautions verbales, mais un relais auprès des chancelleries étrangères pour lever des financements dédiés (MONUSCO). En filigrane, une question se dessine : le leadership charismatique peut-il remplacer les institutions défaillantes ou les contraindre enfin à assumer leurs responsabilités régaliennes ?
Lecture de Kinshasa : recomposition nationale ou simple posture ?
À 2 000 kilomètres de Bukavu, la présidence Tshisekedi observe la tournée de son prédécesseur avec un mélange de froide circonspection et de calcul tactique. Officiellement, le gouvernement salue « toute initiative visant le retour de la paix ». Mais dans les couloirs du Palais de la Nation, l’hypothèse d’une plateforme politique élargie, issue du futur dialogue CENCO-ECC, inquiète ceux qui redoutent une dilution du pouvoir central.
Barnabé Kikaya, conseiller historique de Kabila, a d’ailleurs soufflé que son champion « sera autour de la table si les évêques réussissent ». La formule nourrit les spéculations sur une coalition de circonstance capable de recomposer le jeu institutionnel avant les prochaines échéances électorales. Une partie de l’opposition voit déjà poindre le spectre d’un « gouvernement de transition déguisé », tandis que les diplomates américains interrogés à Washington parlent plutôt d’un « filet de sécurité » pour éviter l’implosion des Kivu.
Perspectives régionales et arbitrage international
La valeur politique des consultations de Bukavu se mesure également à leur résonance régionale. Le 27 juin, Kinshasa et Kigali doivent parapher à Washington un accord bilatéral portant sur la maîtrise des flux transfrontaliers. Dans ce contexte, la démarche de Kabila, longtemps accusé de doubles jeux avec certains voisins, apparaît comme une carte supplémentaire dans la négociation d’un équilibre sécuritaire renouvelé.
Les chancelleries occidentales, lassées d’un conflit à faible visibilité médiatique mais à hauts risques pour la stabilité de la région des Grands Lacs, encouragent toute médiation locale susceptible de réduire la facture humanitaire. « La population de l’est ne survivra pas à un nouveau cycle d’espoirs déçus », avertit un diplomate onusien basé à Nairobi. Reste à convertir l’élan symbolique de Bukavu en architecture juridique contraignante. Entre la lassitude d’une population épuisée et la prudence d’élites habituées aux volte-face, la marge de manœuvre est étroite, mais elle existe. Elle pourrait bien déterminer la place que Joseph Kabila ambitionne de reconquérir dans le récit national congolais.
