La surprise stratégique du 18 juin 2025
Devant un parterre composite de militants, de syndicalistes et de diplomates en poste à Kinshasa, Jean-Marc Kabund a dévoilé, le 18 juin dernier, la Coalition de la Gauche Congolaise (CGC). L’événement, minutieusement chorégraphié, a immédiatement capté l’attention d’une classe politique habituée aux annonces de circonstances à l’approche des scrutins. L’ancien premier vice-président de l’Assemblée nationale a, cette fois, voulu inscrire l’initiative dans le temps long, affirmant que « la CGC s’adossera à des principes, non à un calendrier électoral ». Ce positionnement tranche avec les pratiques de plates-formes éphémères, souvent accusées de se dissoudre dès le lendemain du vote (Centre Carter, 2024).
Une rupture revendiquée avec le paradigme post-Kabila
Kabund s’est livré à une lecture sévère du cycle politique ouvert en 2019. Selon lui, le régime issu de l’alternance a recyclé des réflexes enracinés sous l’ère Kabila, perpétuant clientélisme et gouvernance segmentée. « Nous avons tenté de transformer le système de l’intérieur ; il nous a digérés », a lancé le tribun, souhaitant désormais « rompre, plutôt que réformer ». À travers cette rhétorique, la CGC prétend incarner l’anti-système, tout en capitalisant sur l’expérience institutionnelle de son initiateur. Pour plusieurs analystes, l’argumentaire séduit une frange d’électeurs urbains désabusés, mais il devra convaincre les provinces, où les réseaux du pouvoir demeurent prégnants (Ebuteli, 2025).
Vers une social-démocratie endogène et inclusive
Le socle idéologique du nouveau regroupement s’inspire des courants sociaux-démocrates européens tout en revendiquant une lecture endogène de la question sociale congolaise. Au menu : redistribution des revenus miniers, transition écologique progressive et protection de l’agriculture familiale, jugée vitale pour la sécurité alimentaire. Les rédacteurs du manifeste, conduit par l’économiste Solange Bantu, défendent la création d’un « Fonds souverain citoyen » alimenté par 15 % des recettes issues du cuivre et du cobalt. Cet instrument financerait santé primaire, éducation de base et infrastructures rurales. L’accent mis sur la gouvernance environnementale s’inscrit dans le sillage des attentes internationales, tout en répondant à la pression de la société civile, très active sur les enjeux de déforestation (Réseau CREF, 2024).
Un leadership collégial pour conjurer le syndrome de l’homme providentiel
Consciente de la méfiance généralisée envers le culte du chef, la CGC a opté pour une direction provisoire à neuf membres, mandatée pour vingt-quatre mois. Ce directoire, où cohabitent universitaires, responsables syndicaux et représentants de partis, s’engage à fonctionner sur la base d’un vote à la majorité qualifiée. Kabund affirme qu’il ne cherchera pas à « incarner seul l’alternative », rappelant les dérives historiques des formations centrées sur une personnalité charismatique. Reste que son aura, forgée à l’UDPS puis renforcée par son incarcération médiatisée, le place de facto au cœur du dispositif. L’équation sera délicate : maintenir une dynamique collective sans effacer l’avantage électoral qu’offre une figure identifiée.
Les obstacles structurels d’un État en quête de refondation
Derrière l’élan réformateur, le chantier institutionnel apparaît vertigineux. La CGC plaide pour une décentralisation effective, la rationalisation d’un appareil étatique hypertrophié et la professionnalisation de la fonction publique. Or, l’État congolais, fragilisé par des décennies de conflit et de sous-financement, dispose d’une marge de manœuvre budgétaire réduite ; les dépenses de personnel absorbent plus de 45 % des ressources internes selon la Cour des comptes. La coalition propose donc une « trajectoire de crédibilité budgétaire » associant lutte contre la fuite des capitaux, numérisation des recettes et renégociation de certains contrats miniers. Sans une alliance tactique au Parlement, même partielle, ces réformes risquent toutefois de rester théoriques.
Des répercussions régionales attendues dans l’espace CEEAC
L’initiative de Kabund trouve un écho particulier au sein de la Communauté économique des États d’Afrique centrale, où plusieurs gouvernements observent avec intérêt la montée d’une gauche réformatrice à Kinshasa. À Brazzaville, la stabilité institutionnelle sous la présidence de Denis Sassou Nguesso constitue un point d’ancrage pour les discussions transfrontalières sur le climat, les infrastructures et la sécurité fluviale. Des diplomates en poste rappellent que « l’émergence d’un interlocuteur structuré à gauche pourrait fluidifier la concertation régionale, notamment sur la gouvernance des bassins forestiers ». Dans cet environnement, la CGC devra prouver sa capacité à dialoguer sans heurter les sensibilités, tout en inscrivant ses propositions dans les cadres multilatéraux existants. La route est donc longue, mais le signal est lancé : une nouvelle grammaire politique tente de se frayer un chemin entre les écueils d’un passé lourd et les attentes pressantes d’une société avide de justice sociale.