Une annonce chiffrée qui dépasse la simple statistique
Face à la presse réunie à Kinshasa le 2 juillet 2025, Marc Bristow, président-directeur général de Barrick Gold, a révélé que les investissements cumulés de la mine de Kibali venaient de franchir le seuil symbolique de 6,3 milliards USD. Le dirigeant sud-africain a insisté sur « l’enracinement pérenne » de la compagnie dans l’est de la République démocratique du Congo, rappelant que les fonds engagés incluent le développement initial du site, les redevances payées à l’État, la fiscalité, les salaires et les programmes communautaires. Au-delà de la rétrospective financière, cette déclaration entérine l’inscription durable de Kibali dans l’architecture minière congolaise, désormais considérée comme l’une des plus sophistiquées d’Afrique.
L’annonce fut accueillie par le gouvernement de Kinshasa comme la confirmation d’un partenariat public-privé qu’il estime « exemplaire ». Le ministre des Mines a salué un mécanisme où l’actionnariat national atteint 45 %, un ratio présenté comme la preuve d’une meilleure appropriation de la plus grande mine d’or souterraine du continent. Dans un contexte régional marqué par la volatilité des matières premières, ce flux constant de capitaux offre à la RDC un socle budgétaire appréciable et renforce sa crédibilité auprès des institutions financières multilatérales.
Ancrage local : multiplicateur d’emplois et d’infrastructures
Selon les chiffres communiqués, plus de 7 000 emplois directs et indirects découlent désormais des opérations de Kibali, dont près de 94 % occupés par des Congolais. Les syndicats estiment que chaque poste créé irrigue cinq autres activités dans les territoires de Watsa et de Faradje, démontrant l’effet multiplicateur d’un projet dont la chaîne de valeur, de l’exploration à la transformation, se densifie progressivement sur place.
Les retombées se mesurent aussi en infrastructures : 650 km de routes réhabilitées, un barrage hydroélectrique de 44 MW et la mise à niveau d’un hôpital de référence. Les autorités provinciales se félicitent du fait que ces équipements profitent aussi aux collectivités locales, réduisant les coûts logistiques des marchandises agricoles et améliorant l’accès aux services de santé. Cette dynamique concourt à atténuer la perception selon laquelle les richesses minières n’enrichiraient que des intérêts extérieurs.
Fiscalité et gouvernance : un test pour le Code minier révisé
La révision du Code minier de 2018 fixe une redevance sur l’or à 3,5 %. Bristow affirme que Kibali s’acquitte « scrupuleusement » de ses obligations, soit un cumul de 1,3 milliard USD versé au Trésor en taxes et droits divers. Des observateurs indépendants confirment que le projet a dépassé les objectifs de contenu local imposés par la loi, même si certains élus appellent à plus de transparence sur la répartition des dividendes entre partenaires publics et privés.
Cette conformité apparente est perçue comme un signal positif par d’autres investisseurs, qu’il s’agisse d’acteurs australiens, canadiens ou chinois, dans un pays où la stabilité réglementaire reste fréquemment questionnée. Le gouvernement, conscient de la concurrence régionale, soigne donc sa communication sur la « sécurité juridique » offerte aux sociétés remplissant leurs engagements sociaux et fiscaux.
Enjeux sécuritaires et diplomatiques dans la région des Grands Lacs
Les provinces du Haut-Uélé et de l’Ituri entourant Kibali demeurent affectées par des milices locales. Bristow reconnaît que la continuité opérationnelle tient à une « coopération étroite » avec les forces gouvernementales et les initiatives onusiennes. La compagnie finance ainsi le déploiement de centres de formation pour jeunes vulnérables, visant à réduire le recrutement illégal dans les groupes armés.
Sur le plan diplomatique, l’ampleur du projet renforce la position de la RDC dans les forums régionaux, notamment la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs. Le ministre congolais des Affaires étrangères souligne que « la bonne gouvernance extractive devient un argument de poids dans les négociations d’intégration économique ». En toile de fond, les États voisins observent comment Kinshasa combine capital international et directives nationales, une équation susceptible d’inspirer des réformes jusqu’à Brazzaville, Yaoundé ou Kigali, sans provoquer de tensions avec les gouvernements établis.
Transition énergétique et impératif environnemental
Kibali est alimentée à plus de 80 % par des sources hydroélectriques, limitant son empreinte carbone par rapport aux standards régionaux. La compagnie affirme vouloir atteindre la neutralité carbone sur ses opérations locales d’ici 2030. Des ONG exigent toutefois des études d’impact indépendantes sur la biodiversité du parc de la Garamba, voisin du site. La direction répond par la création d’un fonds dédié à la conservation, abondé à hauteur de 6 millions USD.
Les autorités congolaises voient dans ces engagements un alignement avec leur politique nationale de croissance verte, récemment actualisée à la COP-28. Cette convergence alimente un discours diplomatique présentant la RDC comme « poumon environnemental et coffre-fort minier », rôle confié à la coopération entre État et secteur privé plutôt qu’à des injonctions purement coercitives.
Perspectives : diversification et montée en compétence nationale
Pour 2025-2027, Barrick prévoit d’injecter 500 millions USD supplémentaires afin d’explorer des gisements satellites et d’optimiser la chaîne de raffinage. Un programme de formation des ingénieurs congolais, conduit avec l’Université de Kisangani, doit accroître le taux de postes à responsabilité détenus par des nationaux. « La valeur ajoutée doit rester ici, du fond de la mine jusqu’à la commercialisation du lingot », insiste Bristow.
Le gouvernement entend, de son côté, utiliser les recettes fiscales issues de Kibali pour financer la diversification économique, notamment l’agro-industrie et le numérique. Dans un pays historiquement captif de la volatility des cours des matières premières, l’enjeu consiste à transformer le boom aurifère en socle durable de développement. Pour la RDC, les 6,3 milliards annoncés ne représentent donc pas un aboutissement, mais un seuil ouvrant la voie à une consolidation financière et institutionnelle qui pourrait, si elle est menée avec rigueur, redéfinir la trajectoire économique de tout l’espace d’Afrique centrale.