Une voix libérée face aux eurodéputés
Le 25 juin dernier, dans l’hémicycle feutré du Parlement européen, Jean-Jacques Wondo a rompu un silence lourd de huit mois et demi de captivité. Le spécialiste belgo-congolais des questions sécuritaires, condamné à mort en 2024 par la justice militaire de la République démocratique du Congo (RDC) pour une prétendue tentative de coup d’État puis gracié en février 2025, a relaté un parcours carcéral que d’aucuns qualifieraient de dantesque. « Vous ne connaissez pas l’âme d’un pays tant que vous n’avez pas franchi le seuil de ses prisons », a-t-il lancé, paraphrasant Nelson Mandela, tandis que les parlementaires européens, habitués à la sémantique diplomatique tempérée, découvraient les détails crus d’un univers pénitentiaire encore opaque aux regards extérieurs.
Les arcanes d’une justice militaire contestée
Au cœur de la plaidoirie de M. Wondo, une accusation sans détour : l’appareil judiciaire militaire de la RDC serait devenu un prolongement de l’exécutif, reléguant l’État de droit au rang de simple rhétorique. Le détenu gracié évoque un procès « express » marqué par l’absence de preuves matérielles, la restriction de l’accès à la défense et un huis clos permanent. De telles pratiques, précisément documentées par plusieurs organisations de défense des droits humains (Human Rights Watch, Fédération internationale pour les droits humains), nourrissent l’inquiétude d’une communauté internationale soucieuse de stabilité en Afrique centrale mais également désireuse de voir s’y ancrer des standards juridictionnels universels.
Plongée au cœur de la prison militaire de Ndolo
Décrivant la prison de Ndolo, à Kinshasa, Jean-Jacques Wondo dresse un tableau qui heurte les consciences : 2 422 détenus pour une capacité officielle de 500, cellules de cinquante mètres carrés accueillant jusqu’à deux cent dix personnes, et un accès aux soins quasi inexistant. Il se souvient de compagnons d’infortune, tels le colonel Musukusuku ou le général Sikatenda Shabani, morts faute d’assistance médicale. Ce récit s’inscrit dans une problématique plus large, celle de la surpopulation carcérale en Afrique subsaharienne, où les infrastructures héritées de la période coloniale peinent à absorber la croissance démographique et les crises sécuritaires successives.
L’Union européenne entre indignation morale et calcul stratégique
En apportant une tribune à M. Wondo, les institutions européennes envoient un signal diplomatique mêlant fermeté et prudence. Bruxelles, principal bailleur de fonds de la réforme du secteur de la sécurité à Kinshasa depuis 2004, ne peut ignorer la persistance d’écarts systémiques qui hypothèquent la crédibilité de son action. Néanmoins, l’Union sait que la stabilité en RDC – un pays-pivot doté d’un potentiel minier stratégique et d’une armée engagée dans la lutte contre des groupes armés transnationaux – demeure essentielle à la sécurité régionale. Dès lors, le message adressé par les eurodéputés s’apparente moins à une admonestation qu’à une incitation graduelle : accompagner, plutôt que sanctionner, la mise en conformité juridique de l’appareil militaire congolais.
Résonances régionales et regard de Brazzaville
À Brazzaville, de l’autre côté du fleuve Congo, ce témoignage n’a pas laissé indifférent. Sans se mêler de la souveraineté d’un voisin avec lequel les échanges sécuritaires sont constants, les autorités congolaises observent l’évolution de la justice militaire à Kinshasa avec un pragmatisme diplomatique. Le gouvernement du président Denis Sassou Nguesso, engagé depuis plusieurs années dans un programme de modernisation de son système pénitentiaire, y voit une confirmation de la nécessité de coupler politique de sécurité et garanties procédurales. « La crédibilité internationale se consolide par la conformité aux standards juridiques », rappelait récemment un haut responsable du ministère congolais de la Justice en marge d’un séminaire sur la coopération transfrontalière. Ainsi, Brazzaville, tout en préservant une tradition de non-ingérence, saisit cette occasion pour mettre en avant ses propres avancées et renforcer le dialogue bilatéral sur les questions judiciaires.
Vers un agenda de réformes : vigilance et espoir
Pour Jean-Jacques Wondo, l’enjeu dépasse son récit personnel : il s’agit de convertir l’émotion engendrée par son témoignage en un agenda concret de réformes. L’ancien détenu, aujourd’hui cadre de l’administration pénitentiaire belge, entend mobiliser son expertise technique afin d’aider les autorités congolaises à améliorer les conditions de détention et à garantir la transparence des procédures militaires. Les eurodéputés, de leur côté, envisagent de conditionner une partie de l’aide budgétaire à la RDC à des indicateurs mesurables de progrès juridictionnel. Une démarche qui, selon plusieurs diplomates africains, pourrait inspirer une dynamique vertueuse dans la sous-région, à la faveur d’un partage d’expériences et d’une coopération technique accrue.
Le défi d’une humanisation durable
Le cas Wondo rappelle que la consolidation de l’État de droit reste un pilier de la sécurité collective. Tandis que la RDC est sommée d’harmoniser ses pratiques judiciaires avec les conventions internationales qu’elle a ratifiées, ses partenaires – Brazzaville en tête, qui héberge régulièrement des dialogues sous-régionaux sur la paix et la sécurité – peuvent jouer un rôle de facilitation. La route sera longue, mais la parole désormais libérée de Jean-Jacques Wondo constitue un jalon. En l’érigeant en symbole d’une vigilance citoyenne éclairée, les acteurs diplomatiques soulignent que la force d’une république ne réside pas seulement dans ses effectifs militaires, mais dans la confiance que ses citoyens et ses voisins placent dans ses institutions.