Un protocole qui met la lumière sur les villages congolais
Signé à Kinshasa le 23 juillet 2025, le protocole d’accord de 182 millions de dollars entre l’Agence nationale de l’électrification et des services énergétiques en milieux rural et périurbain et le groupe indien Angelique International Limited attribue à ce dernier la réalisation de mini-centrales hydroélectriques totalisant 26,8 MW. L’objectif immédiat – électrifier 300 000 ménages – paraît modeste à l’échelle d’un pays-continent, mais il représente un pas attendu depuis longtemps par les communautés rurales, où le taux d’accès plafonne encore près de 10 %.
L’événement, salué par le directeur général de l’ANSER, Cyprien Musimar, vient rappeler que l’absence d’infrastructures énergétiques reste l’un des déterminants majeurs des inégalités territoriales en République démocratique du Congo. Le choix d’un partenaire venu d’Asie du Sud n’est pas anodin : il confirme la diversification des alliances de Kinshasa dans un secteur jadis dominé par les bailleurs occidentaux.
Une diplomatie énergétique à 26,8 MW
Angelique International, entreprise indienne présente depuis 1996 dans les segments eau-énergie-agriculture, apporte non seulement un financement sur étagère, mais aussi des garanties techniques adaptées aux réalités hydrologiques du bassin congolais. Pour New Delhi, l’opération s’inscrit dans sa politique de lignes de crédit publiques épaulant les champions nationaux sur les marchés stratégiques d’Afrique centrale. Pour Kinshasa, elle permet de sécuriser un partenaire disposé à transférer un savoir-faire en maintenance des sites isolés, enjeu souvent éludé après l’inauguration des ouvrages.
Sur le plan diplomatique, la manœuvre consolide l’image d’une RDC ouverte à des partenariats Sud-Sud, sans pour autant se départir de ses engagements classiques vis-à-vis des institutions multilatérales. En coulisses, plusieurs chancelleries soulignent que cette coopération indo-congolaise élargit la palette des acteurs capables d’intervenir dans l’hydroélectricité de petite et moyenne taille, créant une saine émulation dans un marché longtemps cloisonné.
Une feuille de route à 39 milliards pour 2030
L’accord Angelique n’est qu’un volet du Plan stratégique 2025-2030 de l’ANSER, qui vise un taux d’accès national à l’électricité de 50 % à l’horizon 2030, contre environ 21 % aujourd’hui. Coût total estimé : 39 milliards de dollars. Les 26,8 MW nouvellement contractualisés demeurent donc symboliques face aux 7 350 MW que le plan ambitionne de déployer. Néanmoins, ils signalent la volonté de l’État congolais de segmenter son effort : s’attaquer d’abord aux zones délaissées, tout en laissant aux grands barrages fluviaux le soin d’alimenter les corridors miniers et industriels.
Le dispositif repose sur cinq piliers que le DG Musimar décline inlassablement : amélioration du cadre juridique, développement d’infrastructures résilientes, autonomisation économique des communautés bénéficiaires, mobilisation innovante des financements et intégration de la gouvernance numérique. Chaque axe est pensé pour éviter la récidive de projets morts-nés, phénomène qui a trop souvent plombé la crédibilité des stratégies antérieures.
Résonances régionales de part et d’autre du fleuve Congo
Au-delà de ses frontières, la RDC sait que le succès de son électrification rurale aura des retombées géopolitiques immédiates. Le Congo-Brazzaville, qui partage plus de 1 700 kilomètres de frontière fluviale avec son voisin, voit d’un œil favorable toute initiative susceptible de stabiliser les rives orientales. À Brazzaville, l’entourage du président Denis Sassou Nguesso fait valoir que l’accroissement du tissu économique dans les provinces limitrophes renforce la sécurité des flux commerciaux transfrontaliers et prépare le terrain à d’éventuelles interconnexions électriques que la CEEAC encourage depuis plusieurs années.
En coulisses, plusieurs diplomates rappellent que la Commission mixte RDC-Congo a, dès 2023, identifié l’énergie comme vecteur d’intégration prioritaire. Les progrès réalisés côté Kinshasa confortent ainsi la stratégie régionale portée par le chef de l’État congolais, attaché à une approche pragmatique du développement partagé et à la préservation d’une atmosphère politique apaisée dans le bassin du Congo.
Financer l’égalité énergétique sans compromettre le climat
Le recours à de petites centrales hydroélectriques, au fil de l’eau, limite les impacts environnementaux tout en répondant aux exigences d’un monde post-COP28. Le chantier financier reste toutefois délicat : si Angelique International apporte un fonds d’amorçage de 182 millions USD, la montée en puissance vers 39 milliards exigera un cocktail d’instruments, du green bond aux garanties souveraines, en passant par la titrisation des recettes futures. Des discussions avancées sont en cours avec la Banque africaine de développement et la Nouvelle Banque de Développement pour mutualiser les risques.
La perspective d’une interconnexion régionale, soutenue par Brazzaville, renforce l’argumentaire des bailleurs : mutualiser la demande accroît la bancabilité des projets et réduit la volatilité des revenus, un point central pour les investisseurs institutionnels soucieux d’une exposition maîtrisée au risque politique.
Vers une lumière durable, facteur de paix sociale
Si l’on se réfère aux études de la Banque mondiale, chaque tranche de 1 000 mégawatts additionnels pourrait créer jusqu’à 100 000 emplois directs et indirects en zones rurales congolaises. Au-delà de ces chiffres, l’électricité bon marché favorise la transformation locale des produits agricoles, limite l’exode vers les capitales provinciales et réduit la fracture numérique. Autant de leviers qui, à terme, consolideront la gouvernance et la paix sociale, conditions indispensables à la stabilité de toute la région.
En pariant sur un partenariat équilibré avec l’Inde et en affichant une stratégie graduelle, Kinshasa se donne les moyens d’une réussite que ses voisins, au premier rang desquels le Congo-Brazzaville, observent avec attention. Dans un contexte international traversé par les incertitudes énergétiques, la RDC éclaire ainsi la voie d’un développement endogène, raisonnable dans son empreinte carbone et porteur d’un nouvel élan pour l’Afrique centrale.