Forum justice transitionnelle : ce qu’il faut retenir
Réunissant à Kinshasa diplomates, juges, chercheurs et militants, la 9e édition du Forum africain sur la justice transitionnelle se veut un moment charnière pour harmoniser les réponses africaines aux conflits passés et actuels, en plaçant victimes et réformes institutionnelles au cœur des débats.
Ouvert le 30 septembre sous le haut patronage du président Félix Tshisekedi, l’événement, organisé par la Commission de l’Union africaine avec l’appui de l’Union européenne et du Fonarev, s’achèvera le 2 octobre après trois jours d’échanges intenses et de recommandations pour le continent.
Kinshasa, nouvelle scène diplomatique régionale
Ces assises confirment la capitale congolaise comme un hub diplomatique croissant, après le sommet régional de l’environnement de 2023 et les récents Jeux de la Francophonie, renforçant la visibilité de la RDC dans l’architecture africaine et complétant les efforts de Brazzaville.
Pour plusieurs observateurs, la tenue du forum illustre une complémentarité nord-sud du fleuve Congo : Kinshasa accueille le débat continental tandis que Brazzaville consolide, par sa diplomatie de bon voisinage, l’ancrage régional des mécanismes de médiation et de reconstruction.
Un outil africain pour la paix durable
Au cœur des débats revient la notion de vérité, indispensable pour des réparations crédibles : sans chronologie partagée des violences, aucune indemnisation ne peut être durable, rappelle le professeur ougandais Barney Afako, conseiller auprès du Secrétaire général de l’ONU, présent en séance d’ouverture ce vendredi matin.
Les organisateurs insistent également sur la réforme des institutions judiciaires nationales, pierre angulaire d’une justice transitionnelle endogène ; l’idée est de réduire la dépendance aux tribunaux ad hoc onusiens en dotant chaque État d’unités spécialisées, formées et financées localement pour plus de réactivité concrète.
L’Union africaine défend enfin la création d’un fonds continental de réparations alimenté par les États contributeurs et les partenariats publics-privés ; un modèle inspiré du Mécanisme africain pour l’énergie renouvelable, afin de garantir des ressources stables aux programmes de restitution et de mémoire à long terme.
Voix de la société civile et attentes des victimes
Plus de soixante ONG, venues du Mali, du Mozambique ou encore du Soudan, plaident pour que les recommandations finales ne restent pas lettre morte : «Nous voulons des indicateurs mesurables, pas seulement des slogans», avertit Julienne Lusenge, figure de la défense des survivantes de violences sexuelles.
Les victimes réclament aussi des réparations individuelles, souvent écartées au profit d’actions communautaires ; certaines délégations proposent un mécanisme hybride combinant micro-indemnités et projets collectifs, calqué sur le modèle rwandais, afin de concilier justice symbolique, cohésion sociale et dynamisation économique locale dans les zones post-conflit concernées.
Sur le volet genre, le forum enregistre la participation record de 55 % de femmes panélistes ; une présence saluée par la conseillère spéciale de l’Union africaine, Bineta Diop, qui estime que «l’appropriation féminine garantit la survie des accords après la sortie des caméras».
Enjeux pour l’Afrique centrale et le Congo
Pour l’Afrique centrale, marquée par des crises multiformes, l’exercice fait office de laboratoire : les leçons tirées à Kinshasa pourraient nourrir le Comité régional auquel participe la République du Congo dans la Conférence internationale des Grands Lacs.
Brazzaville, qui a accueilli plusieurs rounds de dialogue intercommunautaire depuis 2018, voit dans les conclusions du forum l’occasion d’affiner ses propres initiatives de consolidation de la paix, en phase avec la Feuille de route de l’Union africaine sur la «silencing the guns» d’ici 2030 ambition.
Les investisseurs opérant dans la sous-région, notamment dans les corridors Pointe-Noire-Kinshasa, soulignent qu’un climat judiciaire prévisible est un facteur d’attraction clé ; le patronat congolais assure suivre attentivement les débats pour identifier les futures garanties pour les entreprises affectées par les héritages conflictuels de la zone.
Scénarios pour un agenda commun des réformes
Autour de la table, trois scénarios se dégagent : la création d’un protocole continental contraignant, l’adoption de standards facultatifs adossés au Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, ou la simple mutualisation de bonnes pratiques via une plateforme numérique en accès ouvert d’ici fin 2024.
Le premier scénario, soutenu par la délégation sud-africaine, ouvrirait la porte à des sanctions contre les États inactifs ; le second, défendu par plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, mise sur la souplesse pour favoriser une appropriation progressive sans heurter les souverainetés nationales déjà très debattue ici.
Quant au modèle de plateforme, il séduit les organisations de victimes, convaincues qu’un partage d’archives, de bases de données judiciaires et d’outils de formation accélèrerait la circulation du savoir et réduirait les coûts pour les États disposant de budgets limités en période d’austérité relative.
Et après ? Feuille de route et financements
Un rapport préliminaire sera transmis au Conseil paix-sécurité de l’Union africaine en décembre ; d’ici là, Kinshasa et ses partenaires devront mobiliser des financements, calibrer les indicateurs et transformer l’élan diplomatique en programmes concrets au bénéfice des populations du continent.
Les observateurs saluent déjà la méthode ascendante du forum, fondée sur la co-création : plutôt qu’imposer un modèle unique, Kinshasa mise sur la facilitation et sur les réseaux panafricains existants, attitude jugée pragmatique à l’heure de la raréfaction de l’aide publique au développement actuelle.