Une passerelle culturelle régionale
Le 30 août, l’Académie des Beaux-arts de Kinshasa se transforme en auditorium éphémère pour accueillir la onzième édition de la Liputa Fashion Week, organisée sous le slogan « Héritage de paix : Couture et résilience », un mot d’ordre qui lie esthétique, mémoire et stabilité régionale.
Né à Goma, l’événement migre pour la première fois vers la capitale congolaise, sans perdre son ADN pacifiste ; la mode devient ainsi un vecteur de cohésion, là où le tissu social a été éprouvé par les soubresauts sécuritaires de l’Est.
Kinshasa nouveau point d’ancrage
Quatorze maisons, dont six basées à Kinshasa, rythmeront le défilé prévu à 16 h : Carmen Bambi, Julie Kanyinda, Divine Felekeni, Moses Mudogo, Raïssa Ekala et Plamédie Mbungu partagent l’affiche avec Esther Nyota de Goma, symbolisant l’unité stylistique des deux rives du fleuve Congo.
La scène s’ouvre également à Gbandi Yokoti venu du Togo, à Hamza Mohamadou et Raïssa Gofin Anong du Cameroun, ainsi qu’à Corinne Babin de France ; cette pluralité nourrit un dialogue interculturel qui dépasse les frontières linguistiques.
Créateurs africains et diaspora en vitrine
La diaspora n’est pas en reste : Eric Ndelo, Congolais naturalisé américain, et la marque DRC ApeParel basée à Chicago, insufflent une dimension transatlantique, rappelant que le stylisme africain se déploie désormais sur les grandes artères commerciales de New York et de Los Angeles.
« Nous voulons démontrer que la couture peut être un langage politique de paix », confie le directeur de l’événement, David Gulu Gulu, qui revendique une approche inclusive, articulant héritage artisanal et narration contemporaine des identités africaines.
Le gouvernement provincial appuie la manifestation en facilitant la logistique douanière pour les tenues et accessoires, soulignant l’intérêt grandissant des autorités pour l’économie créative, considérée comme une filière porteuse susceptible de diversifier les recettes non extractives.
Diplomatie de la mode et économie créative
Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, la mode subsaharienne représente déjà près de 31 milliards de dollars ; Kinshasa, dont l’agglomération frôle vingt millions d’habitants, entend capturer une part de cet essor en proposant un marché test pour les marques émergentes.
La journée s’ouvre dès 11 h avec une exposition-vente installée dans le patio de l’école des Beaux-arts : créateurs, fournisseurs de textiles et plateformes e-commerce tissent librement des partenariats, transformant le site académique en incubateur improvisé d’initiatives entrepreneuriales.
À 22 h, les projecteurs s’éteignent, mais la partition continue : le lendemain, une sortie à King’s Beach conjugue détente et promotion touristique, manière de montrer que la chaîne de valeur culturelle embrasse aussi l’hospitalité et l’écotourisme fluvial.
Enjeux logistiques et médiatisation
L’invitation adressée au photographe français Georges Alexandre, spécialiste des campagnes haute couture, vise à accroître la visibilité internationale de l’événement ; ses clichés seront mis à disposition sous licence libre, facilitant la reprise par les médias et les institutions culturelles partenaires.
Sur le plan numérique, Bangui Life Style retransmettra les coulisses via un podcast en direct, inaugurant une synergie centrafricaine ; son fondateur Vad’or Kongo espère ainsi « ouvrir le micro » aux créateurs qui, souvent, manquent d’accès aux chaînes classiques de diffusion.
Cette couverture en ligne pourrait toucher près de 200 000 auditeurs répartis entre Yaoundé, Brazzaville et Abidjan, démontrant l’intérêt d’une diplomatie culturelle appuyée sur les nouvelles technologies et le storytelling, moteurs d’influence pour les capitales africaines émergentes.
Synergies éducatives et sociales
L’édition 2024 intervient dans un contexte où les gouvernements de la région, dont Brazzaville, encouragent la mobilité créative avec des exemptions de visa pour les artistes ; une politique saluée par les directeurs de maison qui redoutent la bureaucratie freinant la circulation des prototypes.
Pour les diplomates en poste à Kinshasa, la manifestation sert de baromètre social : « Le succès d’un défilé en plein cœur de la ville atteste d’une demande de stabilité et de consommation culturelle », analyse un conseiller occidental, voyant dans la mode un indicateur avancé de confiance.
Les écoles de stylisme de la capitale profitent de l’événement pour installer des ateliers éphémères où les étudiants peuvent échanger avec les professionnels étrangers, renforçant ainsi les passerelles académiques qui, à terme, favorisent la reconnaissance mutuelle des diplômes et la circulation des savoir-faire.
Selon un rapport interne communiqué aux partenaires, l’édition 2023 à Goma avait généré 250 emplois temporaires ; les projections pour Kinshasa misent sur 400 postes, preuve qu’une politique publique bien calibrée peut transformer la couture en levier de lutte contre le chômage urbain.
Perspective régionale pour Brazzaville
Les organisateurs envisagent déjà une extension sur l’autre rive du fleuve, à Brazzaville, où des designers locaux pourraient rejoindre l’affiche, consolidant ainsi la complémentarité entre les deux capitales, un axe que les présidences respectives considèrent stratégique pour la paix sous-régionale.
Du podium à la plage, Liputa Fashion Week démontre que la création vestimentaire peut impulser des dynamiques économiques et diplomatiques durables ; une pièce supplémentaire dans le grand puzzle de la construction d’une image positive, confiante et durablement attractive du bassin du Congo sur la scène mondiale actuelle et hautement dynamique.