Édition africaine et influence régionale
Dans les chancelleries, on observe souvent les courants d’opinion à travers les communiqués officiels. Pourtant, la diplomatie se joue aussi dans les librairies. Les nouveautés africaines 2025 de L’Harmattan offrent un prisme inattendu sur les enjeux d’influence et les priorités stratégiques du continent.
En parcourant six ouvrages majeurs, on mesure comment la narration, l’image et même la gastronomie deviennent des leviers d’attractivité. Les titres, attendus dans les rayons entre août et septembre 2025, révèlent une Afrique résolument tournée vers la projection de ses cultures plutôt que la défense statique d’identités.
Bande dessinée, miroir mémoriel
La bande dessinée N’fa le fils de Kankoula, signée par l’écrivain guinéen Sansy Kaba Diakité et illustrée par Kenneth Vihotogbe, plonge le lecteur dans la zone de Kankan en temps de guerre. Le héros y découvre que la bravoure peut se convertir en diplomatie matrimoniale, alliance avant l’épée.
À l’heure où plusieurs États reconfigurent leurs doctrines sécuritaires, ce récit graphique montre qu’un mariage consenti peut pacifier des zones frontalières mieux qu’un cessez-le-feu imposé. Les diplomates y liront une métaphore : la paix durable s’assoit autour d’une table familiale, pas seulement lors de sommets protocolaires.
Art et résilience cinématographique
Dans Ousmane Sembène ou l’artiste d’une Afrique en résilience, l’essayiste sénégalais Alpha Amadou Sy revisite romans et films du réalisateur célébré. Au-delà de l’hommage, il montre comment la fiction anticoloniale sert aujourd’hui de boussole aux négociations culturelles multilatérales, notamment sur la restitution d’archives audiovisuelles.
Les capitales qui investissent dans leurs cinémathèques savent qu’un plan restauré vaut parfois un livre blanc. Le parcours de Sembène rappelle, selon Sy, que le contre-récit demeure le meilleur passeport pour s’inviter à la table des coproductions, champ où l’Afrique consolide progressivement son autonomie narrative.
Gastronomie congolaise, nouvelle carte soft power
Avec Eat Pondu, le chercheur congolais Mputu Nzeza Kiluangu investit la géopolitique du goût. En s’appuyant sur le plat de feuilles de manioc, il démontre comment un mets transversal aux provinces peut devenir emblème international, à la manière du sushi ou de la pizza napolitaine.
Brazzaville, qui promeut déjà les produits du terroir dans ses semaines de la gastronomie, pourrait capter cette réflexion. La valorisation culinaire rejoint la vision du président Denis Sassou Nguesso d’une diplomatie économique fondée sur les savoir-faire locaux, sans s’opposer aux engagements d’intégration sous-régionale.
La RDC, voisine et partenaire, trouverait également avantage à codéposer le pondu à l’UNESCO. Une stratégie conjointe renforcerait le bassin du Congo comme laboratoire d’innovation gastronomique, consolidant un front culturel alors que les discussions climatiques sur la forêt équatoriale réclament une cohésion d’image.
La voix des femmes dans le débat social
Dans Femmes et société, Mansour Niang publie L’identité de la femme, plaidoyer vibrant pour une équité qui ne se limite pas aux quotas. L’auteur rappelle que la stabilité des foyers, donc des nations, passe par la reconnaissance juridique et symbolique du rôle pivot assumé quotidiennement par les mères.
Les négociateurs notent que les accords de paix échouent lorsque les femmes restent hors des délégations. En reliant sphère intime et gouvernance, l’ouvrage corrobore les orientations de l’Union africaine sur l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, agenda soutenu par plusieurs capitales dont Brazzaville.
Langues africaines et diplomatie linguistique
Xamtu, monumental dictionnaire bilingue wolof-français de Mansour Khouma, dépasse la lexicographie. Forte de 820 pages, l’œuvre fédère universitaires et diplomates désireux d’enraciner leurs programmes dans la langue la plus pratiquée au Sénégal. Chaque entrée devient un contre-argument à l’idée d’une Afrique condamnée au monolinguisme.
La maîtrise des idiomes nationaux se conjugue désormais avec la présence numérique. Khouma propose d’ailleurs une version augmentée, négociée avec des start-up sénégalaises, afin d’alimenter les moteurs de traduction. À terme, c’est l’accès aux marchés francophones et anglophones qui s’en trouvera démultiplié.
Éducation, traditions et futurs leaderships
Abou Dembélé, spécialiste des sciences de l’éducation, explore Entre traditions et résilience : L’éveil des écoliers africains. Analysant classes rurales et tablettes connectées, il montre que l’autorité communautaire, loin d’entraver l’innovation, peut représenter un capital de confiance essentiel pour toute réforme curriculaire.
L’auteur insiste sur les partenariats public-privé permettant de former des enseignants ambassadeurs de la culture numérique locale. Les pourparlers en cours entre la Banque africaine de développement et plusieurs ministères d’Afrique centrale, dont celui du Congo, s’appuient déjà sur ce type de diagnostics terrain.
Vers une cartographie du soft power africain
Pris ensemble, ces ouvrages dessinent une cartographie du soft power africain, articulant images, saveurs, mots et savoirs. Ils démontrent qu’à côté des forums intergouvernementaux, l’imaginaire populaire construit des ponts plus durables, parce qu’il s’invite dans les foyers avant de franchir les frontières étatiques.
Au-delà de la vitrine commerciale, L’Harmattan livre ici un baromètre géopolitique. Quiconque suit l’actualité du bassin du Congo, de Dakar ou de Conakry gagnera à feuilleter ces pages, car elles révèlent que la bataille de l’influence se joue déjà sur le papier, parfois autour d’un simple plat.
Rendez-vous en septembre, lorsque ces titres atteindront les bibliothèques diplomatiques et les négociations informelles des couloirs multilatéraux.