Un partenariat halieutique relancé au cœur du Golfe de Guinée
Signé le 6 juin à Abidjan, le nouveau protocole d’application de l’accord de partenariat de pêche durable vient clore une année d’interruption qui avait laissé planer le doute sur la volonté des parties de reconduire leur coopération. Le texte permet aux armateurs de vingt-sept États membres de l’UE de reprendre la route du golfe de Guinée pour y cibler essentiellement thonidés et espèces migratrices. Si la signature a été sobrement annoncée, elle intervient dans un contexte continental de contestation croissante des accords bilatéraux de pêche, accusés par certains acteurs de favoriser la surexploitation des stocks au détriment des économies locales.
Les chiffres d’une contrepartie en hausse et leurs implications budgétaires
Le protocole fixe un quota annuel de 6 100 tonnes et une compensation financière de 740 000 euros, soit une progression nominale de 8,5 % par rapport au précédent mécanisme clos en 2024. Sur la période 2025-2029, Abidjan percevra près de trois millions d’euros, montant versé directement au Trésor mais fléché, à hauteur de 50 %, vers des programmes de modernisation de la filière et de renforcement de la recherche scientifique, selon le ministère ivoirien des Ressources animales et halieutiques. Des observateurs soulignent que la somme reste modeste à l’échelle du budget national, mais elle assure une recette extérieure stable et relativement peu volatile, précieuse quand les cours du cacao témoignent d’une forte variabilité.
Entre sécurité alimentaire et diplomatie des ressources
La contribution directe de la pêche au produit intérieur brut ivoirien ne dépasse pas 0,5 %, mais le secteur représente cent mille emplois directs et cinq cent quatre-vingt mille emplois indirects, dont un tiers occupés par des femmes. Pour un exécutif soucieux de préserver l’équilibre social des zones côtières tout en consolidant sa stature régionale, le maintien d’un cadre juridique avec l’UE apparaît comme un levier de diplomatie économique. « Nous ne pouvons ignorer l’importance du partenariat européen dans le financement des infrastructures portuaires et de la surveillance maritime », confie un haut responsable du Port autonome d’Abidjan, évoquant les patrouilleurs fournis récemment dans le cadre du programme européen GoGIN+.
Pressions écologiques sur les stocks et réponses de la recherche sous-régionale
Entre 2016 et 2023, la production halieutique nationale a reculé d’environ 20 %, un signal d’alarme que les scientifiques de l’Institut national polytechnique Félix-Houphouët-Boigny attribuent à la conjonction de la pollution côtière, du réchauffement des eaux et de la pêche illicite non déclarée. Le protocole prévoit donc un dispositif renforcé de suivi électronique des captures, et l’UE finance la mobilisation d’observateurs à bord des senneurs et palangriers. À Abidjan, l’Unité de coordination des pêches thonières juge cette clause « indispensable » pour dresser des recommandations basées sur des données actualisées, condition sine qua non à une éventuelle révision du quota dès 2027.
Perspective régionale : divergences entre Abidjan, Libreville et Dakar
La Côte d’Ivoire fait figure d’exception depuis que le Gabon et le Sénégal ont choisi de suspendre, voire de ne pas renouveler, leurs accords de pêche avec l’Union européenne, invoquant la raréfaction des ressources. Libreville privilégie désormais des licences nationales plus onéreuses afin de préserver ses écosystèmes, tandis que Dakar teste un modèle de gestion communautaire impliquant étroitement les comités de pêche artisanale. Dans ce contexte, la décision ivoirienne est scrutée par les capitales voisines, certaines y voyant un pari sur la capacité de l’UE à garantir la durabilité, d’autres redoutant un appel d’air pour la flotte industrielle européenne.
Cap sur 2029 : contrôles, clauses de révision et rôle des organisations régionales
Au-delà des clauses financières, le protocole introduit une nouveauté : la possibilité de suspendre le quota si les données biologiques établissent un risque avéré pour la ressource. La Commission sous-régionale des pêches, appuyée par l’Organisation des pêches de l’Atlantique Centre-Est, sera chargée d’émettre des avis scientifiques indépendants. Par ailleurs, la contribution européenne servira à doter la Marine ivoirienne de deux drones de surveillance et à former vingt inspecteurs. Autant d’instruments qui, selon un diplomate européen en poste à Abidjan, « constituent les fondations d’une gouvernance partagée des océans, condition de la souveraineté alimentaire et de la sécurité maritime dans le golfe de Guinée ».
La prochaine réunion mixte de suivi est fixée à février 2026 ; elle permettra d’ajuster les paramètres de captures, tandis que les opérateurs privés s’engagent à débarquer une partie des prises à Abidjan pour alimenter les chaînes de valeur locales. Forte de ces garde-fous, la Côte d’Ivoire espère conjuguer rentrées financières, stabilité sociale et gestion durable. La crédibilité de ce modèle, désormais observé par les partenaires régionaux, se mesurera à la robustesse des contrôles et à la capacité des institutions à faire respecter leurs propres engagements.