Ketsia Chelsea Yoka, une trajectoire qui inspire
L’arrivée début août à Londres de Ketsia Chelsea Yoka, 22 ans, marque une première historique pour le mannequinat congolais, longtemps cantonné aux podiums régionaux. Venue de Ngoyo, l’arrondissement côtier de Pointe-Noire, la jeune femme foule désormais les studios britanniques les plus exigeants.
Derrière ce saut géographique, un itinéraire de persévérance, mixant scolarité classique et stages intensifs en pose et démarche. Ketsia confiait avant son départ que « viser Londres, c’était accepter l’effort quotidien ». Son profil digital attire déjà plusieurs dizaines de milliers d’abonnés.
Les séances inaugurales organisées par l’agence NEXT London ont confirmé sa polyvalence. Capable d’endosser tour à tour l’élégance minimaliste scandinave et l’afro-chic assumé, elle illustre la transversalité esthétique recherchée par des marques mondiales dont les calendriers 2025 se remplissent déjà.
Lena Models Academy, matrice de talents
Au Congo-Brazzaville, l’histoire débute dans un studio lumineux du quartier Mvou-Mvou, là où Helena Kiss Moundaya, surnommée Black Panthère, a fondé en 2014 Dream’s Agency avant de lancer Lena Models Academy. Son credo reste inchangé : détecter, former, connecter.
Diplômée de gestion, la directrice a patiemment bâti un réseau mêlant photographes, stylistes et coaches sportifs. Chaque aspirant mannequin suit douze mois de programme : nutrition, langues, confiance scénique. « Nous préparons des professionnels, pas des vedettes éphémères », insiste-t-elle.
Le partenariat signé avec six agences européennes, résultat de castings virtuels lancés durant la pandémie, a offert un débouché concret. L’ascension de Ketsia devient ainsi la preuve conceptuelle que la filière congolaise peut satisfaire les standards internationaux, sans concession sur l’identité culturelle.
Soft power congolais par la mode
Au-delà de la réussite individuelle, l’émergence d’un mannequin congolais à Londres participe d’une diplomatie culturelle discrète. Dans les coulisses des Fashion Weeks, chaque passage de Ketsia sur le catwalk projette l’image d’un pays stable, ouvert et créatif, message apprécié des investisseurs.
Des diplomates accrédités à Westminster confient voir dans cette visibilité un complément aux stratégies traditionnelles. Un conseiller économique évoque « un vecteur de storytelling positif offrant un contrepoids aux narrations exclusivement extractives ». La kulturpolitik devient ainsi un levier supplémentaire de rayonnement.
À Brazzaville, le ministère en charge des Industries culturelles suit le dossier de près. Bien que l’initiative demeure privée, les autorités y voient un alignement avec la feuille de route gouvernementale qui mise sur l’économie créative pour diversifier les revenus non pétroliers à l’horizon 2030.
Mannequinat et retombées économiques
Selon la fédération britannique de la mode, un top model international peut générer jusqu’à 500 000 dollars de commandes annuelles pour ses partenaires. Une partie de ces flux, via commissions et transferts, retourne au pays d’origine, alimentant l’écosystème local de production photographique et d’événementiel.
Lena Models Academy estime que chaque contrat signé à l’étranger mobilise une dizaine de prestataires au Congo : graphistes, tailleurs, community managers. Ce petit secteur formelise progressivement ses pratiques, pousse à la déclaration fiscale et incite les banques locales à proposer des produits dédiés.
Les économistes interrogés rappellent toutefois la fragilité d’une industrie fonctionnant à la réputation. D’où l’importance d’instances de régulation protégeant les mannequins contre les clauses abusives et consolidant la marque nationale « Made in Congo » sur les places fortes du commerce créatif.
Perspectives pour la jeunesse congolaise
Dans les lycées de Pointe-Noire, les ateliers organisés par Lena Model Academy affichent complet. Pour de nombreux adolescents, le succès de Ketsia démontre qu’une carrière internationale peut s’amorcer sans exil définitif, à condition de maîtriser l’anglais et de s’approprier des codes professionnels stricts.
Pour Helena Kiss Moundaya, l’enjeu est de transformer ce regain d’intérêt en formations qualifiantes. Elle prépare l’ouverture d’un incubateur mode à Brazzaville, où stylisme, marketing digital et logistique douanière seraient enseignés, offrant ainsi un tremplin vers des métiers annexes mais porteurs.
De son côté, Ketsia prévoit déjà un retour régulier au pays pour animer des masterclasses. « Partager mon expérience, c’est rendre ce que j’ai reçu », résume-t-elle. Un cycle vertueux commence à se dessiner, reliant scènes internationales et ambitions locales.
Regards d’experts sur l’avenir
Le sociologue de la mode Jean-Marc Ndinga souligne que l’effet signal envoyé par une success-story reste fragile si la chaîne de valeur locale ne monte pas en qualité. Il recommande des synergies avec les écoles d’art et une normalisation des cachets pour limiter l’exode des meilleurs profils.
Les agences partenaires basées à Paris et Milan saluent la discipline contractuelle de la partie congolaise. « La réactivité administrative est déterminante pour décrocher une option minute », affirme un booker italien. Cette réputation de sérieux pourrait attirer de nouvelles collaborations dans la publicité, le cinéma et la musique.
Au final, l’aventure londonienne de Ketsia Chelsea Yoka s’inscrit dans une dynamique plus large où créativité, entrepreneuriat et identité nationale convergent. Sa silhouette sur un podium britannique suggère que les frontières symboliques s’estompent dès lors que le talent reçoit un accompagnement structuré.