Dans l’œil du cyclone sécuritaire à l’Est de la RDC
Depuis le retour en force du Mouvement du 23 mars en novembre 2021, les collines volcaniques du Nord-Kivu oscillent entre avancées rebelles et contre-offensives gouvernementales. Les Nations unies recensent plus de 900 000 déplacés internes, signe que la crise humanitaire approfondit un paysage déjà miné par trois décennies de conflits. « Le Kivu reste le baromètre de la stabilité régionale », estime un haut fonctionnaire ougandais en poste à Goma, rappelant que l’intensité des hostilités commande la température géopolitique des pays riverains du lac Albert au fleuve Congo.
Doha, nouvelle scène diplomatique des Grands Lacs
L’implication de l’émirat qatari, perçue naguère comme exogène, s’est imposée par la force de son carnet d’adresses et de sa neutralité revendiquée. Après les forums d’Addis-Abeba et de Nairobi, Doha s’offre comme un terrain à équidistance symbolique des acteurs, bien loin des collines de Nyiragongo. Selon un conseiller du ministère congolais des Affaires étrangères, la capitale du gaz liquéfié a su « créer une atmosphère feutrée où chaque mot s’échange hors micro », condition sine qua non pour délier des langues longtemps crispées par la suspicion.
Des revendications qui sondent la profondeur de l’État de droit
À la table des pourparlers, la délégation du M23 martèle deux exigences : la libération d’une centaine de ses membres incarcérés à Kinshasa et la levée immédiate des mandats d’arrêt visant sa direction politique. Pour les représentants gouvernementaux, accepter ces requêtes sans contrepartie tangible reviendrait à conférer une immunité de fait susceptible de fragiliser l’autorité judiciaire. Un diplomate burundais résume le dilemme : « Comment prôner la réconciliation sans entamer la crédibilité d’institutions que l’on s’emploie justement à consolider ? »
Kinshasa explore dès lors des mécanismes transitoires, inspirés des commissions vérité et réconciliation, afin de concilier justice et pacification. La proposition d’un moratoire procédural assorti d’un contrôle international fait son chemin, mais bute encore sur la question sensible des réparations dues aux victimes civiles, sujet que la société civile congolaise considère comme non négociable.
Les médiations régionales et l’équilibre stratégique
Le ballet diplomatique ne se limite pas à Doha. L’East African Community, l’Union africaine et la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs multiplient les canaux parallèles pour prévenir un enlisement. Kigali, souvent soupçonné de sympathies envers le M23, a envoyé des signaux de désescalade lors du dernier mini-sommet de Luanda, tandis que Brazzaville, soucieuse de préserver un corridor commercial vital vers l’océan Atlantique, plaide pour une solution qui consolide l’intégration économique de toute la sous-région sans jeter l’opprobre sur aucun chef d’État.
Quels horizons pour la stabilité et l’intégration régionale
Au-delà du cessez-le-feu, les observateurs scrutent la capacité des protagonistes à traduire la paix armée en bénéfices socio-économiques tangibles. La reconfiguration de la force régionale de l’EAC, dont le mandat arrive à échéance, ouvre une fenêtre pour une mission plus réduite, axée sur la restauration de l’autorité administrative dans les zones reconquises. Des programmes de réhabilitation des routes transfrontalières entre Goma, Bukavu et Bukavu-Bujumbura sont évoqués afin de convertir l’apaisement militaire en dividendes pour les populations.
La souveraineté alimentaire, le développement de corridors ferroviaires et la transition énergétique figurent déjà au cahier des charges des partenaires internationaux. Les financements annoncés par la Banque africaine de développement pour la réhabilitation de la route Kisangani-Pointe-Noire démontrent qu’une vision de connectivité continentale est possible, pour peu que le silence des armes se prolonge. À Doha, les négociateurs savent que la signature d’un accord n’est qu’un prélude : seule une mise en œuvre rigoureuse, adossée à des garanties régionales crédibles, pourra éviter le retour du cycle des offensives saisonnières.