Diplomatie culturelle congolaise à l’offensive
Le spectre de la crise du multilatéralisme n’a pas entamé l’ambition culturelle de Brazzaville. Depuis plusieurs mois, le Congo promeut la candidature de Firmin Edouard Matoko à la direction générale de l’Unesco, pariant sur un profil forgé dans les rouages de l’organisation onusienne et reconnu pour son sens du consensus. « Nous plaidons pour une gouvernance polyphonique qui réconcilie les agendas éducatifs, scientifiques et patrimoniaux », confie un diplomate congolais en poste à Paris. Le périple d’Anatole Collinet Makosso, qui l’a mené de Libreville à Istanbul via dix capitales africaines, donne chair à cette ambition en mobilisant à la fois réseaux continentaux et relais émergents.
Ankara, carrefour des intérêts congolais
La Turquie s’est imposée comme le trait d’union stratégique entre l’Afrique centrale et les marchés eurasiens. Reçu à Ankara par le vice-président Cevdet Yılmaz, le chef du gouvernement congolais a remis un message personnel du président Denis Sassou Nguesso à Recep Tayyip Erdoğan, rappelant l’importance accordée par Brazzaville au soutien turc dans les enceintes multilatérales. Selon des sources proches du dossier, les autorités turques saluent « le parcours irréprochable » de M. Matoko, notamment sa capacité à pacifier des négociations culturelles parfois fracturées. Le dossier reste formellement à l’examen, mais les signaux sont jugés « encourageants » au sein du cabinet du Premier ministre.
Unesco : la candidature Matoko sous bonne escorte
La conjoncture internationale, marquée par le repli de certaines puissances et le retour des débats identitaires, confère une portée particulière au scrutin à venir au sein de l’Unesco. En défendant un professionnel aguerri des arcanes onusiennes, Brazzaville mise sur la stabilité programmative et la capacité d’innover dans la gouvernance numérique de l’organisation. Un expert indépendant basé à Genève observe que « le Congo entend démontrer qu’un État africain de taille moyenne peut piloter un agenda universel sans posture idéologique ». La diplomatie congolaise avance ainsi l’idée d’une Unesco recentrée sur l’éducation de base, la gestion durable des sites classés et l’intelligence artificielle responsable, autant de thèmes susceptibles d’agréger des majorités transrégionales.
Axes miniers et ferroviaires : la poussée stratégique
Parallèlement au lobbying culturel, la séquence turque a été l’occasion de passer en revue des dossiers à haute intensité économique. Au premier rang figure le gisement de fer de Mayoko, dont le lancement des travaux d’usine est attendu sous peu. Brazzaville mise sur l’expertise technique turque afin d’optimiser la chaîne de valeur et de sécuriser les débouchés asiatiques. Non loin de là, la réhabilitation du corridor ferroviaire Mbinda-Mayoko-Mont-Belo, puis jusqu’à Pointe-Noire, devrait fluidifier l’exportation des minerais tout en désenclavant plusieurs bassins agricoles. « Le rail reste l’artère vitale de notre diversification », rappelle un cadre du ministère des Transports. La Turquie, forte d’une industrie ferroviaire compétitive, se positionne comme partenaire privilégié, confortant ainsi sa pénétration commerciale en Afrique centrale.
Vers un agenda africain renforcé par Brazzaville
En filigrane de ces initiatives se dessine une approche diplomatique intégrée, où l’influence culturelle soutient l’attractivité économique et inversement. Loin de se limiter à la course pour l’Unesco, le Congo entend consolider un réseau d’alliances sud-sud capable de peser sur les futures réformes de la gouvernance mondiale. Les étapes africaines du voyage – de Cape Town à Ouagadougou – ont déjà permis de fédérer des soutiens. La Turquie, pour sa part, voit dans cette dynamique une opportunité d’amplifier sa « politique d’ouverture sur l’Afrique », inaugurée en 2005. Au-delà des contrats, Brazzaville capitalise sur la complémentarité entre sa stabilité politique et la quête turque de nouveaux relais d’influence.
Les prochains mois seront décisifs. Le Conseil exécutif de l’Unesco se réunira à l’automne pour valider les candidatures avant le vote final. En attendant, Anatole Collinet Makosso continue de tisser la toile diplomatique, misant sur un équilibre subtil entre arguments de fond et convergences d’intérêts. Une méthode résolument pragmatique qui, si elle aboutit, projettera le Congo sur l’avant-scène d’une gouvernance internationale en recomposition.