Une signature aux allures de séisme diplomatique
À la Maison-Blanche, le 27 juin, l’image des ministres des Affaires étrangères rwandais et congolais paraphant un texte commun ne relevait encore, quelques mois plus tôt, que de la politique-fiction. Orchestrée par l’administration américaine, la cérémonie a instantanément été présentée comme la matérialisation d’un ‘moment historique’. Le conseiller spécial du département d’État, cité dans la foulée par plusieurs médias américains (Department of State, 28 juin 2024), a salué une ‘percée sans précédent pour la stabilité des Grands Lacs’. L’enthousiasme, toutefois, contraste avec la mémoire encore vive de trois décennies de méfiances réciproques, de déplacements forcés et de tensions sur les confins orientaux de la RDC.
Washington, des idéaux aux intérêts stratégiques
Officiellement, la médiation américaine vise à consolider la paix et à favoriser le développement. Cependant, plusieurs diplomates africains interrogés à Addis-Abeba constatent qu’elle coïncide avec la montée en flèche de la demande mondiale en cobalt, coltan et terres rares, dont le sous-sol congolais regorge. Un conseiller géo-économique européen résume la situation : ‘les batteries du futur passent par l’Ituri et le Katanga’. Dans cette perspective, le réengagement américain sert une double finalité : sécuriser les routes d’approvisionnement critiques face à la percée chinoise et renforcer un discours multilatéral où Washington s’affiche en garant d’un ordre international fondé sur des règles. Dans l’entourage de la Maison-Blanche, on insiste d’ailleurs sur la volonté de ‘préserver la libre concurrence’ plutôt que de ‘contenir’ quiconque. La nuance, purement diplomatique, n’échappe à personne.
La RDC entre concessions minières et quête de souveraineté
Félix Tshisekedi se trouve face à un exercice d’équilibrisme. Soucieux d’apporter un répit sécuritaire aux provinces orientales, il a accepté que le texte fasse de la neutralisation des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) une priorité à court terme. En contrepartie, Kinshasa a dû tolérer que la question du Mouvement du 23 mars (M23), qualifié par de nombreux rapports onusiens d’auxiliaire de Kigali, soit reléguée au rang de ‘dossier interne’. Pour un membre du Conseil économique et social congolais, ‘la paix a un prix, et celui-ci se compte en pourcentages de participation dans les coentreprises minières’. Le gouvernement congolais assure, pour sa part, que toute ouverture aux capitaux étrangers restera subordonnée à la loi sur la sous-traitance locale, adoptée en 2017 pour renforcer le contenu national.
Kigali engrange des gains tactiques soigneusement négociés
Pour Paul Kagame, l’accord entérine un principe essentiel : la reconnaissance, fût-elle implicite, d’un droit de poursuite face aux groupuscules hostiles basés de l’autre côté de la frontière. En échange de sa coopération, Kigali obtient une visibilité accrue sur les dispositifs de certification des minerais issus des chaînes congolaises. Un chercheur du Rift Valley Institute évoque ‘un pas subtil vers la normalisation d’une présence sécuritaire rwandaise, sans en assumer le terme’. Dans une région où la perception symbolique importe autant que la réalité opérationnelle, cette clause vaut monnaie forte. Elle renforce le capital politique de Kigali auprès de ses partenaires occidentaux, tout en rassurant les investisseurs qui perçoivent le Rwanda comme un hub logistique fiable.
L’Union africaine en retrait, la diplomatie sous contrainte
La rapidité des tractations a surpris plusieurs capitales africaines. Ni les bons offices de João Lourenço ni la proposition de médiation de Faure Gnassingbé n’ont réussi à s’imposer. Un conseiller de la Commission de l’UA reconnaît en privé que ‘la fenêtre d’opportunité a été monopolisée par Washington’. Cette posture rappelle, par contraste, l’expérience accumulée par Brazzaville dans le règlement des crises régionales : sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, le Congo-Brazzaville a souvent privilégié des mécanismes de concertation endogènes, qu’il s’agisse du processus de Khartoum sur le Soudan du Sud ou des dialogues interlibyens. L’épisode actuel confirme l’urgence, pour l’architecture de paix africaine, de s’affirmer face à des partenaires extérieurs d’autant plus prompts à intervenir que l’enjeu minier est élevé.
Peut-on pérenniser un compromis à géométrie variable ?
Les observateurs s’entendent sur un point : la signature du 27 juin n’est, au mieux, qu’un premier chaînon. Le chef de la MONUSCO a prudemment salué ‘un instrument prometteur, mais incomplet’. Sur le terrain, les groupes armés locaux demeurent motivés par l’économie de prédation, et les communautés frontalières exigent des garanties tangibles. Si la diplomatie américaine promet un suivi trimestriel, la persistance de la confiance entre Kigali et Kinshasa reposera surtout sur des retombées concrètes : réouverture des marchés transfrontaliers, déploiement conjoint de forces de stabilisation, partage équitable des redevances minières. Un diplomate de l’Union européenne rappelle que ‘le diable gît dans les mécanismes de vérification’.
Vers une phase d’observation attentive
À court terme, l’annonce a déjà réduit la tension rhétorique et redonné un peu d’oxygène aux négociateurs des deux camps. Sur le plan économique, plusieurs entreprises anglo-saxonnes dévoilent leur intention d’explorer des partenariats, tandis que la Banque africaine de développement, prudente, recommande d’attendre la fin de l’année avant tout décaissement massif. Au-delà de l’optimisme affiché, le succès durable dépendra de la capacité des acteurs régionaux à revendiquer un rôle central, à l’image des initiatives impulsées depuis Brazzaville pour d’autres dossiers sensibles. ‘La véritable victoire, souffle un haut fonctionnaire de la CEEAC, ce sera une intégration économique inclusive, et non la simple sécurisation d’un corridor minier’.