Images explicites au cœur du marché Total
À Brazzaville, le marché Total de Bacongo, carrefour effervescent de la rive droite du Congo, concentre en miniature les tensions d’une capitale moderne : commerce informel florissant, encadrement sécuritaire vigilant et morale publique sous l’œil attentif des familles.
Depuis quelques mois, une échoppe de produits cosmétiques et stimulants sexuels expose à la vue de tous des emballages illustrant nudité frontale et ébats amoureux. Le procédé accroît l’affluence, mais interroge les cadres juridiques encadrant la diffusion d’images dites sensibles.
Base légale et cadre de pudeur au Congo
La loi congolaise sur la protection de l’enfant, complétée par l’ordonnance de 1983 relative aux publications obscènes, proscrit toute représentation érotique accessible aux mineurs. Les autorités rappellent régulièrement que l’espace public doit demeurer « convivial pour chaque génération ».
Fonctionnement quotidien des forces de sécurité
Pourtant, sur l’allée principale, l’étal demeure toléré. Les policiers affectés au déguerpissement des commerçantes informelles se limitent, selon leurs mots, à « assurer la fluidité » des trottoirs. Ils invoquent l’absence de plainte officielle concernant le visuel jugé provocant.
Argumentaire commercial des vendeurs
Le propriétaire, la trentaine tranquille, affirme viser une cible adulte intéressée par « le bien-être et la confiance corporelle ». Il soutient que les images proviennent d’emballages fabriqués à Dubaï et que leur retrait diminuerait la valeur marketing de ses stocks.
Interrogé, un fonctionnaire du ministère du Commerce relève qu’« aucun visa technique n’a été délivré » pour ces produits, mais rappelle que l’administration privilégie d’abord la sensibilisation plutôt que la saisie afin de ne pas fragiliser des moyens de subsistance déjà modestes.
Consommation, jeunesse et nouveaux imaginaires
Le débat met en lumière l’essor d’un micro-secteur informel exploitant la demande croissante d’aphrodisiaques et de soins esthétiques à Brazzaville. Selon une petite étude menée par l’Université Marien Ngouabi, près d’un quart des jeunes urbains déclarent avoir testé ces compositions importées.
Cette consommation traduit des aspirations contemporaines à l’affirmation du corps, aspirations nourries par les réseaux sociaux pan-africains valorisant silhouettes sculptées et performances. Les vendeurs capitalisent sur cet imaginaire en affichant des visuels explicites censés garantir l’efficacité des gélules ou des crèmes.
Pour les familles fréquentant le marché, la frontière entre argument commercial et atteinte à la pudeur reste floue. Une mère de trois enfants confie qu’elle détourne le regard de sa fille « par crainte qu’elle ne croie ces images normatives », tandis qu’un jeune client évoque simplement « de la publicité ».
Risques psychosociaux pour les mineurs
Les psychologues soulignent que l’exposition précoce à des supports sexualisés peut biaiser la construction des repères affectifs. Pour la docteure Mireille Nkouka, « on ne protège pas seulement l’enfant, on protège aussi la qualité du lien social ».
Dialogue policier-commerçant en pratique
Le commissariat de l’arrondissement 2 a, de son côté, indiqué ouvrir un dialogue avec l’administrateur du marché pour « identifier une solution proportionnée ». Conformément au Code de la police, la démarche associe la fédération des commerçants afin d’éviter toute perception de répression arbitraire.
Dans les faits, l’arsenal législatif existe. Le défi réside plutôt dans sa diffusion auprès des petits détaillants, souvent éloignés des séminaires de formation. L’ONG Journalistes pour la citoyenneté propose d’ailleurs des sessions mobiles de sensibilisation financées par un partenariat public-privé.
Pédagogie juridique et solutions locales
Certains juristes rappellent que la jurisprudence congolaise favorise la pédagogie avant la sanction. Plusieurs arrondissements ont déjà installé des panneaux d’affichage neutres où les vendeurs peuvent coller leurs notices sans exhiber les emballages les plus suggestifs.
Traçabilité et contrôle des importations
La question renvoie aussi aux chaînes d’approvisionnement. Beaucoup de ces produits transitent par Pointe-Noire, puis rejoignent la capitale en minibus, échappant aux contrôles phytosanitaires. Le gouvernement explore une traçabilité numérique qui permettrait de géolocaliser chaque lot dès le port d’entrée.
Équilibre économique du secteur informel
Sur le plan économique, les commerçants insistent sur la faible marge du petit détail. Taxer sévèrement ou confisquer brutalement, avancent-ils, pourrait pousser l’activité dans des ruelles moins surveillées, loin de tout encadrement sanitaire et fiscal.
Plusieurs observateurs saluent donc l’option graduée retenue à Bacongo : rappeler la norme, proposer un repositionnement discret des supports, puis, en dernier recours, saisir les lots non homologués. Cette séquence évite d’opposer l’ordre public à la survie d’une micro-entreprise.
Vers une régulation participative
Au-delà du marché Total, l’enjeu illustre l’ambition gouvernementale de concilier modernité économique et valeurs sociétales. Les autorités multiplient les consultations citoyennes pour ajuster les textes sur le commerce des substances sensibles, dans un esprit d’équilibre et de dialogue permanent.
Si la scène de Bacongo questionne, elle rappelle surtout que la gouvernance de proximité peut résoudre des différends sans crispation. L’évolution du dossier sera suivie comme un test grandeur nature de la régulation participative prônée par Brazzaville depuis la récente Stratégie nationale du commerce.
