L’outil footballistique au service du rayonnement maghrébin
Dans le sillage d’une Coupe du monde masculine 2022 vécue comme un tournant identitaire pour le continent, le Maroc entend rééditer l’opération séduction en accueillant pour la seconde fois consécutive la Coupe d’Afrique des nations féminine. Rabat ne se contente pas d’offrir une arène sportive ; le royaume affine une diplomatie du carnet de chèques et de l’infrastructure, quitte à imposer sa marque sur l’imaginaire collectif. Le calendrier, reconfiguré après un report d’un an, s’ouvre le 5 juillet par un choc face à la Zambie. Dès lors, chaque rencontre devient une vitrine : le Royaume projette efficacité organisationnelle, stabilité politique et engagement en faveur de l’égalité de genre, autant de messages soigneusement calibrés pour ses partenaires et investisseurs.
Groupes et rivalités : lectures régionales d’un tirage équilibré
Le hasard du tirage n’en est jamais tout à fait un, à écouter les chancelleries africaines. Dans le groupe A, les Lionnes de l’Atlas retrouvent la Zambie, tombeuse du Maroc sur la route des Jeux olympiques. Au-delà de la revanche sportive, c’est une opposition entre deux modèles d’investissement : l’un, étatique et structuré, l’autre, plus spontané, qui capitalise sur le talent brut de figures comme Barbra Banda. Le groupe B offre au Nigeria, onze fois champion, un couloir théorique vers la première place face à la Tunisie, l’Algérie et le Botswana. Enfin, le groupe C réunit l’Afrique du Sud, tenante du titre, le Ghana, le Mali et la Tanzanie, rappelant qu’en Afrique australe la compétitivité féminine est désormais adossée à des championnats domestiques consolidés.
Calendrier condensé et visibilité maximale
De Rabat à Berkane, le tournoi déroule quotidiennement deux à trois rencontres jusqu’au 14 juillet, avant d’enchaîner sur des phases à élimination directe dès le 18. Ce rythme soutenu répond à un impératif de diffusion mondiale : window primetime pour l’Europe, access prime pour l’Amérique du Nord, mi-journée stratégique pour l’Asie. Les créneaux horaires, validés après consultation de la Confédération africaine de football (CAF) et des diffuseurs continentaux, visent à maximiser les droits télévisuels tout en limitant l’exposition à la chaleur estivale. Pour les capitales africaines, chaque match devient également un moment de diplomatie parallèle, entre loges VIP, rencontres bilatérales et négociations commerciales.
Infrastructures : six stades en vitrine de la modernisation marocaine
Trois ans seulement après la précédente édition, le Maroc a opté pour une rotation complète des enceintes, signe d’une densité d’infrastructures rarement égalée au sud de la Méditerranée. Du stade olympique de Rabat au Larbi Zaouli de Casablanca, les pelouses hybrides, l’éclairage LED et la connectivité 5G illustrent la volonté de standardiser le haut de gamme. Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’une répétition générale avant la co-organisation, avec l’Espagne et le Portugal, de la Coupe du monde 2030. Sur le plan intérieur, cet effort fédère un consensus politique rarissime, les formations de la majorité comme de l’opposition saluant un investissement générateur d’emplois et de rayonnement.
Forces en présence : expérience nigériane, confiance sud-africaine, ambition marocaine
Les Super Falcons, portées par la gardienne Chiamaka Nnadozie et l’attaquante Asisat Oshoala, conservent le statut de favori structurel. Pourtant, l’Afrique du Sud de Desiree Ellis, malgré l’absence de Thembi Kgatlana, mise sur la continuité d’un groupe victorieux et sur la lucidité tactique de Jermaine Seoposenwe. Le Maroc, lui, bénéficie du savoir-faire de Jorge Vilda, auréolé de sa victoire mondiale avec l’Espagne, et d’un effectif encadré par la Fédération royale marocaine décidée à franchir un cap historique. En embuscade, la Zambie rêve de surprendre grâce au duo Banda-Kundananji, tandis que le Ghana veut renouveler la flamme d’une génération dorée ayant disputé trois finales entre 1998 et 2006.
Soft power continental et résonances diplomatiques
Au-delà du tableau d’affichage, la Wafcon 2024 symbolise le passage de témoin entre une diplomatie sportive jadis concentrée sur le football masculin et un nouvel horizon où la compétition féminine devient vecteur d’influence. La présence de hauts responsables étatiques dans les tribunes, la densité des partenaires institutionnels – ONU Femmes, Banque africaine de développement, Union africaine – témoignent d’une prise de conscience partagée. Pour plusieurs diplomates accrédités à Rabat, « le Maroc offre une plate-forme où le sport, l’égalité de genre et l’intégration économique s’entrecroisent », résume un attaché sud-américain. Dans cette orchestration millimétrée, le royaume transmet l’image d’un État stable, performant et tourné vers l’avenir, sans heurter les susceptibilités de ses pairs. À l’échelle continentale, la dynamique pourrait accélérer la professionnalisation des championnats féminins, renforcer la mobilité des joueuses et ouvrir la voie à des partenariats public-privé inédits.
Vers un héritage durable pour le football et la diplomatie africaine
Au soir du 26 juillet, le trophée trouvera preneur, mais l’essentiel pourrait se jouer ailleurs : dans l’appropriation de la narration par les opinions publiques et dans la capacité des dirigeants à capitaliser sur l’élan populaire. Les leçons de l’édition marocaine, qu’il s’agisse de gouvernance, de formation ou de marketing, serviront de feuille de route aux fédérations souhaitant candidater pour 2026. D’ores et déjà, Lagos, Le Cap et même Brazzaville évaluent la possibilité d’accueillir le tournoi, conscients de l’effet catalyseur sur les infrastructures et la cohésion nationale. Ainsi, la CAN féminine 2024 se présente comme un laboratoire de coopération, d’émancipation et de compétitivité, à l’intersection du sport et de la diplomatie, là où l’Afrique façonne discrètement son futur.