Mboki, carrefour enclavé et désormais isolé
Au sud-est de la République centrafricaine, Mboki a longtemps servi de point de liaison entre les marchés sud-soudanais, congolais et centrafricains. Cette localité de près de vingt-cinq mille habitants, nichée dans la préfecture du Haut-Mbomou, reposait jusqu’ici sur la route en latérite qui la relie à Zémio pour l’acheminement des denrées de première nécessité. Or, depuis la fin avril, cette artère est devenue le théâtre d’affrontements récurrents, plaçant Mboki dans une situation d’encerclement économique et humanitaire que décrivent les résidents comme « une lente asphyxie ».
Insécurité persistante sur l’axe Zémio-Mboki
Les échanges de tirs entre les Forces armées centrafricaines, appuyées par des instructeurs russes, et les combattants de la milice A Zandé Ani Kpi Gbé ont fait de la route une zone interdite. Les convois commerciaux, déjà clairsemés, n’osent plus s’y aventurer, redoutant les embuscades et les postes de contrôle informels. Christian Kadayombo, sous-préfet de Mboki, souligne que « plus aucun véhicule ne franchit les quarante-sept kilomètres séparant la ville de Zémio », rappelant que la dernière tentative de passage s’est soldée par l’incendie de deux camions en mai (source administrative locale, mai 2024).
Inflation alimentaire et vulnérabilité des ménages
La rupture d’approvisionnement se traduit par une flambée des prix rarement observée, même dans cette zone traditionnellement défavorisée. Le manioc, principal féculent de la région, a vu son prix presque doubler, tandis que la farine de blé, dépendante des importations, atteint des sommets impensables pour un revenu moyen estimé à moins d’un dollar par jour (OCHA, mai 2024). Les ménages recourent à des stratégies d’adaptation de plus en plus extrêmes : repas uniques, vente de biens domestiques et abandon des semences destinées à la prochaine saison agricole. De l’avis d’un commerçant joint par téléphone, « le marché ressemble désormais à une étagère vide où l’on ne négocie plus que le prix du transport clandestin ».
Les capacités humanitaires mises à rude épreuve
Les partenaires humanitaires présents dans le Haut-Mbomou savent pertinemment que l’accès aérien, coûteux et tributaire des conditions météorologiques, ne peut absorber les besoins d’une population entière. Le Programme alimentaire mondial a effectué deux rotations de fret d’urgence, totalisant cinquante tonnes de vivres, mais le stock couvre à peine deux semaines de consommation minimale (PAM, juin 2024). Sur le terrain, Médecins sans frontières rapporte une multiplication par trois des consultations liées à la malnutrition aiguë modérée chez les moins de cinq ans. Un logisticien international rappelle que « le défi n’est pas seulement de livrer de la nourriture, mais de le faire sans transformer l’aide en objectif militaire ».
La diplomatie régionale à l’épreuve
Face à cette spirale, les capitales régionales activent leurs canaux diplomatiques. Brazzaville, qui assure la présidence tournante de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, a convoqué en juin une réunion ad hoc des ministres de la Défense pour examiner un couloir humanitaire sécurisé. Si la République du Congo ne souhaite pas s’immiscer dans les affaires intérieures de Bangui, elle plaide pour une « approche concertée qui préserve la souveraineté centrafricaine tout en garantissant la libre circulation des biens essentiels », selon un diplomate congolais.
Cette position concilie la tradition de médiation de Brazzaville, déjà mise en avant lors du Forum de la réconciliation centrafricaine de 2014, avec la nécessité de maintenir une neutralité constructive vis-à-vis des différents partenaires sécuritaires de Bangui. Les chancelleries occidentales saluent d’ailleurs la capacité de Denis Sassou Nguesso à maintenir un espace de dialogue entre acteurs parfois rivaux.
Vers une approche intégrée sécurité-développement
Les observateurs s’accordent à dire que le désenclavement de Mboki dépasse la seule question militaire. Réhabiliter l’axe Zémio-Mboki, rouvrir le marché transfrontalier avec l’est de la République démocratique du Congo et renforcer la surveillance douanière figurent parmi les pistes avancées par la Banque africaine de développement dans son dernier diagnostic sur les corridors routiers (BAD, 2024). En parallèle, les autorités centrafricaines envisagent des patrouilles mixtes FACA-Forces de sécurité intérieure, accompagnées d’une présence civile accrue, à commencer par les services phytosanitaires et les inspecteurs du commerce.
À plus long terme, la sécurisation durable dépendra de la création d’alternatives économiques pour les jeunes susceptibles de rejoindre les groupes armés. Les organisations de la société civile plaident pour un fonds régional d’appui aux coopératives agricoles, mécanisme qui pourrait s’inspirer du modèle pilote lancé dans le département de la Sangha au Congo-Brazzaville. Le commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Union africaine, présent à Bangui début juin, a déclaré « qu’une action coordonnée entre gouvernements, bailleurs et secteur privé est indispensable pour empêcher la répétition de crises localisées à fort impact humain ».
Dans l’immédiat, Mboki reste suspendue à la reprise du trafic routier. Chaque jour supplémentaire d’isolement accentue le risque de déplacement de populations vers la frontière sud-soudanaise, ce qui compliquerait davantage la donne humanitaire et sécuritaire pour l’ensemble de la sous-région.
Cap sur une réponse collective
Alors que les flambées de violence perturbent déjà la saison agricole 2024-2025, les décideurs centrafricains et leurs partenaires extérieurs n’ont que peu de temps pour activer un mécanisme de réponse complet. La disponibilité d’un contingent régional de forces de maintien de la paix, soutenu politiquement par Brazzaville et techniquement par l’Union africaine, apparaît comme la solution la plus crédible à court terme. Reste à obtenir le financement nécessaire et l’adhésion sans réserve de toutes les parties prenantes.
L’exemple de Mboki, ville à la fois périphérique et stratégique, rappelle que la sécurité nationale centrafricaine est indissociable de la solidarité régionale. À l’heure où les corridors commerciaux se transforment en lignes de front, la diplomatie est invitée à redevenir le principal véhicule de la stabilité, avant que la pénurie n’emporte définitivement les plus vulnérables.