Reconfigurations géoéconomiques autour des terres rares
À l’heure où la compétitivité technologique se mesure à la maîtrise des chaînes d’approvisionnement en métaux stratégiques, Pretoria et Bruxelles déploient une diplomatie minérale empreinte de réalisme. En marge des tensions sino-américaines, les deux partenaires entendent forger une interdépendance choisie pour sécuriser iridium, rhodium ou encore manganèse, indispensables aux piles à combustible et aux aimants permanents. « Le temps des dépendances unilaterales est révolu », résumait récemment un haut fonctionnaire sud-africain, soulignant la volonté de bâtir un partenariat équilibré fondé sur la valeur ajoutée locale.
Un partenariat commercial déjà dense, mais perfectible
L’Union européenne demeure le premier client et investisseur de l’Afrique du Sud, absorbant près d’un cinquième de ses exportations et fournissant plus de la moitié de l’investissement direct étranger. La suppression de 98 % des droits de douane via l’accord de partenariat économique UE-SADC a fluidifié les échanges, tandis que plus de 2 000 filiales européennes génèrent quelque 500 000 emplois dans l’industrie locale. Pourtant, les volumes de minéraux critiques exportés vers le marché communautaire demeurent modestes au regard des réserves sud-africaines, ce qui laisse entrevoir un gisement d’opportunités industrielles et logistiques encore peu exploité.
Convergence d’agendas sur l’autonomie stratégique
La publication, en 2024, de la Critical Raw Materials Act côté européen et de la Critical Minerals and Metals Strategy côté sud-africain fournit un cadre programmatique inédit. L’UE cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis de fournisseurs uniques et à rapatrier une partie du raffinage sur son sol, tandis que Pretoria ambitionne d’intégrer les chaînes de valeur régionales afin de stimuler l’industrialisation. « Nous partageons la même obsession : sécuriser l’accès tout en créant des emplois qualifiés localement », notait un conseiller du ministre sud-africain du Commerce lors du sommet bilatéral de mars 2025.
Instruments financiers européens au service de la transition sud-africaine
S’inscrivant dans l’initiative Global Gateway, Bruxelles a promis 4,7 milliards de dollars pour soutenir le virage énergétique sud-africain, notamment l’hydrogène vert et le raffinage de platinoïdes. Cette enveloppe complète le Just Energy Transition Investment Plan piloté par Pretoria, qui vise à convertir un secteur électrique historiquement adossé au charbon en un mix bas-carbone. Pour l’ambassadeur de l’UE à Pretoria, « il s’agit d’un investissement de confiance, pas d’un chèque en blanc : le succès dépendra de la capacité à résoudre goulots d’étranglement logistiques et contraintes électriques ».
Défis institutionnels et industriels dans la mise en œuvre
Passer du verbe à l’action suppose d’activer trois leviers. D’abord, stimuler l’implication d’un secteur privé encore frileux face aux incertitudes réglementaires et aux contraintes d’infrastructures portuaires et ferroviaires. Ensuite, garantir que la montée en gamme de la transformation minérale se réalise in situ, et non à des milliers de kilomètres des gisements, question centrale pour l’acceptabilité sociale du projet. Enfin, crédibiliser les engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance, parfois mis à mal par des capacités de contrôle limitées. Plusieurs ONG rappellent que la transparence des protocoles d’accord demeure perfectible, même si Pretoria a récemment renforcé les exigences de reporting pour les entreprises extractives.
Vers une gouvernance minérale inclusive et transparente
Le gouvernement sud-africain plaide pour une feuille de route publique associant collectivités locales, industrie et société civile, rejoignant ainsi les standards de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives. De son côté, la Commission européenne envisage de mobiliser la Banque européenne d’investissement afin de structurer des véhicules de financement mixtes, intégrant exigences ESG et transferts de compétences. « Une codécision négociée vaut mieux qu’un chantage sous couvert de sécurité nationale », souligne un analyste du South African Institute of International Affairs, en référence aux accords conditionnant l’accès aux minerais à des positions géopolitiques alignées.
De la coopération bilatérale à l’influence multilatérale
À l’approche de la présidence sud-africaine du G20, Pretoria et Bruxelles souhaitent hisser la gouvernance des minéraux critiques au rang de bien public mondial. Un groupe de travail dédié, soutenu par le Canada et le Japon, planche déjà sur un cadre de traçabilité qui s’inspirerait des principes des Nations unies sur les minéraux de la transition énergétique. Cette dynamique pourrait également bénéficier aux États voisins, du Zimbabwe à la Namibie, consolidant ainsi un corridor de valeur régional où le Congo-Brazzaville, riche en potasse et en phosphate, pourrait trouver de nouveaux débouchés – perspective accueillie favorablement par Brazzaville, soucieuse d’attirer des capitaux respectueux de ses priorités nationales. En se positionnant à la croisée des intérêts africains et européens, l’Afrique du Sud aspire à devenir la plaque tournante continentale d’une économie bas-carbone désormais indissociable des minéraux critiques.