Une gouvernance monétaire renouvelée
Depuis son arrivée à la tête de la Banque des États de l’Afrique centrale en février, Yvon SANA BANGUI imprime déjà sa marque. De l’essor du mobile money à la convergence réglementaire, sa feuille de route retient l’attention des décideurs de Brazzaville.
Dans un entretien accordé à Financial Afrik, le gouverneur détaille les réformes clés qui, au-delà des frontières, devraient soutenir la stabilité du franc CFA tout en modernisant les services financiers dans les six pays de la CEMAC, dont la République du Congo.
Ce qu’il faut retenir
Protection des utilisateurs de monnaie électronique, fonds propres bancaires mieux capitaux, supervision renforcée du secteur extractif : la BEAC veut conjuguer innovation et orthodoxie. L’objectif affiché est clair : faire de la zone CEMAC un espace de transactions traçables, transparentes et compétitives.
Coopération BEAC–BAM : un modèle inspirant
La convention de coopération signée en 2011 entre la BEAC et Bank Al-Maghrib offre un retour d’expérience précieux. Rabat partage ses avancées sur la finance verte, la cybersécurité et la monnaie numérique. Pour le gouverneur, ces échanges alimentent le plan stratégique 2026-2030.
Concrètement, les équipes basées à Yaoundé et à Brazzaville s’inspirent des plateformes marocaines d’open banking pour bâtir des passerelles régionales. L’idée est de mutualiser les investissements, réduire les coûts d’interopérabilité et accélérer l’accès des PME congolaises à de nouveaux financements durables.
Mobile money : l’inclusion financière s’accélère
L’essor du mobile money redessine la relation banque-client. Selon la BEAC, le volume des transactions a bondi de 46 % en un an. Les régulateurs CEMAC, via le GIMAC, misent sur l’interopérabilité pour faire tomber les barrières entre opérateurs télécoms et établissements de paiement.
La priorité porte sur la protection du consommateur et la cybersécurité. « Chaque incident technique doit être signalé dans les deux heures », insiste un cadre de la direction des systèmes de paiement à Brazzaville. Les sanctions en cas de manquement pourront aller jusqu’au retrait de licence, précise-t-il.
Pour le Trésor public congolais, l’inclusion financière passe aussi par l’éducation. Des campagnes ciblent déjà les marchés de Poto-Poto et de Ouesso afin d’expliquer comment sécuriser un code PIN ou reconnaître un faux SMS. Le gouverneur voit là une condition de confiance durable.
Régime de change et secteur extractif
La question du rapatriement des recettes minières reste sensible. La BEAC rappelle que la liberté des opérations courantes est garantie, mais que la transparence prime. Des discussions techniques sont en cours avec les majors pétrolières de Pointe-Noire sur la domiciliation des fonds environnementaux.
Selon un consultant basé à Paris, la mesure vise autant la soutenabilité budgétaire que la réputation internationale du franc CFA. « Le rapatriement rapide des devises améliore la liquidité régionale et rassure les investisseurs », explique-t-il, soulignant la position proactive de Brazzaville dans les négociations.
Capitaux propres bancaires : cap sur Bâle III
La CEMAC prépare un saut qualitatif vers Bâle III. Le relèvement du capital social minimum et l’introduction d’un coussin contracyclique devraient, selon la BEAC, fortifier la résilience des banques congolaises face aux chocs extérieurs et à la volatilité des matières premières.
Parallèlement, l’agrément unique simplifiera l’implantation régionale des établissements. Une banque validée à Brazzaville pourra exercer à Libreville ou Douala sans refaire un dossier complet. Les fintechs saluent cette ouverture, perçue comme un important levier de réduction des coûts de conformité.
Le volet LBC/FT se renforce également. Une plateforme commune de reporting déclaratif, testée depuis janvier, réduit les délais de transmission des données suspectes à l’ANIF. Pour le gouverneur, cette rapidité constitue un argument clé auprès du GAFI pour améliorer la notation de la région.
Convergence XAF/XOF : la piste technologique
La suspension du rachat réciproque des billets entre BEAC et BCEAO, en vigueur depuis 1993, ne sera pas levée. Le risque de fraude demeure. Les deux banques centrales finalisent plutôt l’interconnexion de leurs systèmes afin de permettre des règlements instantanés et traçables.
Selon Yvon SANA BANGUI, cette architecture offrira aux commerçants de Dolisie ou de Cotonou la possibilité de régler leurs fournisseurs en monnaie locale, sans passer par des bureaux de change. La réduction des frais devrait stimuler les courants d’affaires, notamment dans les boissons et les matériaux.
Et après ? Les enjeux pour Brazzaville
Le gouvernement congolais anticipe déjà les bénéfices de ces chantiers. Des projets pilotes de paiement des taxes municipales par QR code seront lancés à Oyo et à Pointe-Noire. Ils s’ajouteront aux réformes de la BEAC pour fluidifier la collecte fiscale et soutenir la trésorerie publique.
Au-delà, la modernisation financière appuyée par la BEAC pourrait attirer davantage d’investissements verts dans la filière bois et le carbone forestier, un axe prioritaire pour Brazzaville. Les investisseurs cherchent des garanties de gouvernance ; le nouveau cadre prudentiel leur apporte une visibilité accrue.
« La stabilité de notre monnaie est un atout dans un contexte mondial volatil », rappelle le gouverneur. Son pari : démontrer que prudence budgétaire et innovation technologique ne sont pas antinomiques. Les prochains mois diront dans quelle mesure la CEMAC, et le Congo, réussiront ce dosage.