Panorama d’une stratégie panafricaine
En parcourant plus d’une cinquantaine de capitales africaines depuis son intronisation, Mohammed VI a fait du continent le périmètre naturel de la diplomatie marocaine. Le souverain chérifien revendique une vision où la coopération sud-sud n’est plus un slogan incantatoire, mais le socle d’un modèle de développement partagé. « Mon pays partage ce qu’il a, sans ostentation », affirmait-il devant l’Assemblée de l’Union africaine en 2017, à l’occasion du retour du Maroc au sein de l’organisation continentale. Cette phrase, devenue programmatique, s’est matérialisée par une série de projets bancaires, industriels et énergétiques qui confèrent au Royaume le statut d’investisseur africain majeur, en particulier en Afrique de l’Ouest, région qui capte plus de soixante pour cent des investissements directs marocains.
L’Atlantique africain, axe de prospérité partagée
Dernière déclinaison de cette diplomatie du concret, l’initiative dite de l’Atlantique africain propose de transformer la façade ouest du continent en véritable dorsale géostratégique. Loin de considérer l’océan comme une périphérie lointaine, Rabat l’imagine en carrefour nodal entre Amériques, Europe et Afrique, capable de porter l’innovation, la logistique et la résilience régionales. L’offre marocaine inclut la mise à disposition de ses infrastructures portuaires, du hub de Tanger Med jusqu’aux terminaux en construction à Dakhla, pour les États enclavés du Sahel qui peinent à accéder aux marchés mondiaux. Le projet de gazoduc Nigeria-Maroc, long ruban énergétique traversant treize pays, incarne à la fois un instrument d’intégration énergétique et un symbole d’interdépendance positive.
Sécurité alimentaire : le levier phosphaté
À l’heure où la démographie africaine explose, la question de la sécurité alimentaire devient un test de crédibilité pour toute puissance régionale. Fort de ses immenses réserves de phosphates, le groupe OCP, bras économique de l’État, a engagé un virage vers une « Afrique des engrais sur mesure ». Des complexes industriels se déploient à Kaduna au Nigeria et à Dire Dawa en Éthiopie, avec l’ambition non seulement de couvrir les besoins domestiques mais aussi de fournir les marchés voisins. La cartographie fine des sols, préalable indispensable à la production d’engrais adaptés, a replacé la science agronomique au cœur d’un partenariat où la valeur ajoutée reste locale. En consacrant une part croissante de sa capacité exportatrice au continent, le Maroc endosse le rôle de garant d’une agriculture résiliente et climato-intelligente.
Paix, religion et stabilité : la diplomatie sécuritaire
Sur le terrain de la sécurité collective, l’engagement marocain se lit à travers l’envoi de plus de 1 700 casques bleus déployés du Soudan à la République centrafricaine. À cette présence opérationnelle s’ajoute un art consommé de la médiation, entre l’accord de Skhirat qui ouvrit en 2015 un chemin de dialogue inter-libyen et l’appui discret aux transitions politiques en Guinée ou en Sierra Leone. Rabat capitalise également sur son héritage spirituel : la Fondation Mohammed VI des Ouléma africains fédère des érudits soucieux de promouvoir un islam soufi, ancré dans la tolérance. Chaque année, l’Institut Mohammed VI de formation des imams accueille des centaines de futurs prédicateurs venus du Sahel, participant ainsi à la prévention de l’extrémisme violent par l’éducation religieuse.
Mobilités humaines et co-développement
Précurseur sur le dossier migratoire, le Maroc fut le premier pays africain à lancer une vaste opération de régularisation, qui a permis à cinquante-six mille ressortissants du continent d’obtenir un statut légal. Cette approche humaniste, théorisée par Mohammed VI comme un « instrument de solidarité », a conduit l’Union africaine à lui confier, en 2017, la coordination continentale du sujet. L’observatoire africain des migrations, basé à Rabat, fournit aujourd’hui des données indispensables pour dépasser la logique sécuritaire et intégrer la mobilité à l’agenda du développement.
Perspectives et défis partagés
En consolidant la façade atlantique, en stimulant la sécurité alimentaire et en facilitant les circulations humaines, le Maroc construit les conditions d’une intégration africaine qui ne se réduit ni à la monnaie ni à la zone de libre-échange. Les défis demeurent pourtant nombreux, de la volatilité des cours énergétiques à la pression climatique, en passant par les crispations géopolitiques au Sahel. La capacité de Rabat à embarquer des partenaires variés, qu’il s’agisse de firmes privées ou d’organisations régionales, sera déterminante. Pour l’heure, la méthode Mohammed VI séduit par son pragmatisme : mettre les infrastructures, la finance et la diplomatie culturelle au service d’un projet continental dont le mot d’ordre reste l’interdépendance positive. Ainsi s’esquisse, sur la rive sud de l’Atlantique, un modèle où l’influence se mesure moins à la projection de puissance qu’à la densité des liens tissés.