Ce qu’il faut retenir
Le décès de l’opposant camerounais Anicet Ekane, survenu le 1ᵉʳ décembre 2025 en détention, a ravivé la crise postélectorale d’octobre et déclenché une vague d’indignation portée par artistes, écrivains et internautes.
Le cinéaste Jean-Pierre Bekolo dépeint un peuple « qui baisse la tête » tandis que l’écrivain Eugène Ebodé rend sa médaille de Chevalier dans l’Ordre de la Valeur pour dénoncer la dérive institutionnelle. Les propos de la militante Nathalie Yamb ont, eux, divisé l’opinion.
Un décès qui ravive la crise postélectorale
Avec l’exil de Bakary Tchiroma, arrivé deuxième derrière Paul Biya lors du scrutin d’octobre, le paysage politique semblait déjà fragilisé. La mort d’Anicet Ekane dans la prison centrale de Yaoundé ajoute une dimension tragique à une contestation que Yaoundé peine à contenir.
Les opposants dénoncent une répression croissante envers les militants et pointent un système carcéral saturé. Bien que les autorités aient évoqué l’état de santé fragile du détenu, l’opinion exige un rapport médical indépendant et la clarification des conditions de détention.
La parole des artistes face au silence politique
Dans un texte relayé sur les réseaux, Jean-Pierre Bekolo capte l’angoisse quotidienne de ses compatriotes. Il décrit les anglophones meurtris, les Bamiléké marginalisés, les Nordistes méfiants et, désormais, les Douala endeuillés, tous persuadés qu’un simple geste de défi peut les exposer.
Le cinéaste s’indigne surtout du fatalisme ambiant : chacun détourne le regard, redoutant que la prochaine arrestation frappe son quartier. Pour de nombreux observateurs, cette retenue collective illustre la profondeur d’une crise qui déborde désormais les cercles militants traditionnels.
Le coup d’éclat littéraire d’Eugène Ebodé
En restituant sa médaille reçue en 2016, l’auteur de « La Rose dans le bus jaune » transforme un honneur officiel en acte d’accusation. Son texte, partagé massivement, fustige un État « qui ruse avec ses propres principes » et alerte sur le repli tribal.
Ebodé rappelle que la justice doit rester l’axe cardinal d’une république. Sans réhabilitation du droit, prévient-il, l’effondrement institutionnel laissera place à des milices communautaires. Sa référence à Abraham Lincoln souligne l’universalité du principe : l’autorité n’est légitime qu’en répondant devant le peuple.
La polémique Nathalie Yamb
Au milieu des hommages, le message de Nathalie Yamb a surpris : « La mort n’est pas le fruit du hasard… ». En relativisant la responsabilité de l’État et évoquant la Covid, la militante a choqué la famille ; Mariana Ekane lui a demandé de se taire.
Le tollé révèle l’extrême sensibilité de l’opinion. Beaucoup voient dans le décès d’Anicet Ekane un symbole, plus qu’un accident individuel. Les réseaux sociaux deviennent l’arène où se confrontent deuil, colère et stratégies politiques, créant une cacophonie que le gouvernement observe avec prudence.
Contexte et scénarios
La crise postélectorale trouve ses racines dans la contestation des résultats et la persistance du conflit anglophone. Les organisations de défense des droits humains recensent arrestations arbitraires et disparitions. Les autorités affirment agir pour la sécurité nationale, mais peinent à convaincre sur la transparence.
Trois scénarios se dessinent : une enquête indépendante qui apaiserait les tensions ; une réponse sécuritaire accrue risquant de radicaliser la rue ; ou, enfin, un compromis politique passant par la libération de détenus emblématiques. L’équilibre entre fermeté et dialogue semble plus fragile que jamais.
Le point juridique
Les avocats de la famille Ekane rappellent que le Code pénal camerounais garantit le droit aux soins pour tout détenu. Ils envisagent de saisir le Comité des Nations unies contre la torture, arguant que la privation d’assistance médicale constituerait un traitement cruel.
Le barreau réclame par ailleurs la diffusion d’images de vidéosurveillance de l’infirmerie pénitentiaire. Pour Me Nkom, « la vérité judiciaire est la seule capable de pacifier un débat déjà saturé de rumeurs ». Aucune date d’audience n’a cependant été annoncée à ce stade.
Répercussions économiques locales
Dans le quartier New-Bell, d’où était originaire Anicet Ekane, les commerçants constatent une baisse de fréquentation depuis l’annonce du décès. L’insécurité ressentie pousse les habitants à limiter leurs déplacements, affectant un tissu économique déjà fragilisé par les restrictions liées à la crise anglophone.
Les analystes financiers n’anticipent pas d’impact macroéconomique immédiat, mais redoutent un climat d’affaires dégradé si la contestation persiste. Certains investisseurs étrangers attendent les signaux du gouvernement avant de confirmer des projets dans les télécoms ou l’agro-industrie.
La voix de la diaspora
Depuis Paris, Bruxelles ou Montréal, les associations de la diaspora camerounaise organisent veillées et conférences virtuelles. Elles réclament la mise sur pied d’une commission mixte, incluant l’Union africaine, pour superviser toute investigation. Le hashtag #JusticeForEkane dépasse déjà le million de mentions.
Et après ?
Pour les observateurs, le sort d’Anicet Ekane pourrait changer la donne si la société civile maintient la pression. Les artistes ont lancé le signal ; les universitaires et les Églises pourraient suivre. La réouverture de l’espace civique apparaît désormais comme une exigence plus que comme un slogan.
Dans l’immédiat, la question de la responsabilité pénale et politique reste ouverte. Une communication officielle détaillée sur les causes exactes du décès calmerait-elle la rue ? Les prochaines semaines diront si Yaoundé opte pour la transparence ou pour la prudence sécuritaire.
