Ce qu’il faut retenir
Moscou vient de clore un Forum international qui marquait le centenaire de la diplomatie publique russe. Plus de deux mille participants des cinq continents se sont retrouvés pour exalter la culture, la science et la presse comme vecteurs de paix.
L’événement, orchestré par Rossotrudnichestvo, a vu des accords médiatiques signés avec le Nigeria, la Guinée équatoriale et la Chine, tandis que vingt journalistes, dont une Centrafricaine, recevaient le prix « Honest View » pour un reportage humanitaire.
Un centenaire à forte charge symbolique
Créée en 1925, la Société pansoviétique pour les relations culturelles avec l’étranger entendait rapprocher des sociétés meurtries par la Grande Guerre. Cent ans plus tard, son héritière, Rossotrudnichestvo, remet le dialogue citoyen au cœur d’un monde à nouveau fracturé.
Le centenaire n’est pas qu’une commémoration. Il sert de tribune à Moscou pour affirmer un ordre international « multipolaire » où la diplomatie populaire, moins contrainte que celle des chancelleries, devient un instrument stratégique, notamment dans le Sud global.
Rossotrudnichestvo, héritière d’une longue tradition
L’agence fédérale, présente dans quatre-vingt maisons russes à travers le monde, finance des bourses universitaires, des cours de langue et des missions humanitaires. Son budget, stable malgré les sanctions occidentales, est réaffecté vers l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique.
« Notre maison est votre maison », a résumé son directeur Evgueni Primakov, petit-fils de l’ancien ministre des Affaires étrangères. Son credo : associer confiance, compréhension et dialogue, en insistant sur des projets concrets, du forage d’eau au jumelage d’universités.
La voix de Poutine et Lavrov souligne l’enjeu mondial
Dans un message lu par Mikhail Shvydkoy, Vladimir Poutine a salué les « efforts contribuant à un ordre juste ». Sergey Lavrov, en vidéo, a invoqué les valeurs spirituelles pour barrer la route au « néocolonialisme » et au « néonazisme ».
Ces discours, relayés sous formes d’encadrés juridiques dans le hall, rappellent que la diplomatie publique n’est jamais neutre. Elle participe à la défense des « intérêts légitimes » russes, tout en s’offrant l’image d’un rassembleur soucieux d’égalité et de respect mutuel.
Pourquoi l’Afrique se sent concernée
La présence d’une délégation nigériane, d’officiels équato-guinéens et de journalistes centrafricains illustre la fenêtre qu’ouvre Moscou sur le continent. Les accords signés portent sur la coproduction audiovisuelle, la formation en journalisme de solution et l’accueil d’étudiants en ingénierie.
Pour Brazzaville, qui cultive des liens historiques avec la Russie, l’initiative conforte une stratégie d’ouverture tous azimuts. Des sources diplomatiques congolaises voient dans la montée de la soft power russe un contrepoids utile, notamment pour financer des programmes culturels régionaux.
Regards croisés de journalistes primés
Le prix « Honest View » a distingué vingt reporters pour leur traitement de projets humanitaires liés à la Russie. Parmi eux, Belvia Espérance Refeibona, rédactrice en chef d’Oubangui Média, saluée pour un sujet sur dix forages d’eau réalisés à Bangui.
« Ce prix symbolise la résilience », confie-t-elle, chèques à la main et larmes aux yeux. Les lauréats, originaires du Kazakhstan à l’Italie, recevront jusqu’à 2,5 millions de FCFA. Un voyage d’immersion en Russie récompensera également le meilleur « antidote aux stéréotypes ».
Scénarios : vers une soft power plus offensive ?
À court terme, Rossotrudnichestvo veut doubler le nombre de programmes itinérants en Afrique francophone. Objectif : former mille journalistes en deux ans et financer vingt festivals de cinéma. Les retombées pourraient repositionner Moscou comme pourvoyeur d’opportunités culturelles face à Pékin et Paris.
À moyen terme, le ministère russe des Affaires étrangères envisage un réseau numérique de plateformes éducatives en partenariat avec des universités africaines. Les analystes estiment que ces outils pèseront dans la bataille des narratifs, surtout sur les réseaux sociaux des jeunesses urbaines.
Et après ? Les pistes ouvertes par le Forum
La prochaine édition est annoncée à Kazan, au Tatarstan, en 2025. D’ici là, un comité mixte planchera sur l’évaluation d’impact des accords signés, intégrant indicateurs de genre, d’accès à l’eau et de mobilité étudiante, suivant les standards onusiens.
En inaugurant ce cycle de coopérations, Moscou confirme la centralité de la diplomatie publique dans sa stratégie globale. Pour nombre d’acteurs africains, la fenêtre est réelle, à condition d’aborder ces offres avec pragmatisme et transparence, sans jamais renoncer à leur agenda national.
