Virage stratégique de MTN en Afrique francophone
La désignation de Karl Toriola, actuel directeur général de MTN Nigeria, à la vice-présidence chargée de l’Afrique francophone illustre la nouvelle étape stratégique d’un groupe qui ambitionne d’aligner innovation, diplomatie économique et inclusion numérique sur un même horizon panafricain.
Cette avancée survient dans un contexte où la demande en données et paiements mobiles explose de Dakar à Brazzaville, créant un terrain fertile pour un opérateur déjà présent dans plus d’une dizaine de pays et désireux d’harmoniser son offre sur les marchés francophones à forte croissance.
Le parcours panafricain de Karl Toriola
Entré chez MTN il y a plus de deux décennies, Karl Toriola a construit une carrière rythmée par des redressements opérationnels, du Ghana au Bénin, puis par le pilotage de la zone Afrique de l’Ouest et centrale, expérience qui nourrit aujourd’hui son capital diplomatique interne.
Sa réputation de fin négociateur, capable d’articuler exigences des régulateurs et impératifs commerciaux, fut consolidée au Nigeria, premier marché du groupe, où il a accéléré l’expansion de la 4G et amorcé la 5G tout en renforçant le dialogue public-privé.
Potentiel inédit des marchés francophones
Dans les capitales francophones, le taux de pénétration mobile demeure inférieur à celui de Lagos ou Johannesburg, mais les autorités multiplient les réformes pour élargir les usages numériques, de la télémédecine à la bancarisation, offrant ainsi à MTN un espace compétitif loin d’être saturé.
Le Cameroun et la Côte d’Ivoire génèrent déjà plus d’un tiers des revenus francophones, tandis que le Bénin et le Congo-Brazzaville émergent comme laboratoires de services fintech soutenus par des politiques nationales encourageant l’innovation locale et la connectivité des zones rurales.
Le rôle clé du Congo-Brazzaville
À Brazzaville, gouvernement et opérateurs dialoguent régulièrement autour du Plan national de développement numérique, qui vise à porter la couverture haut débit à 95 % d’ici 2025 et à renforcer la cybersécurité, terrain sur lequel MTN entend proposer des solutions adaptées aux infrastructures locales.
Selon le ministère congolais des Postes, les abonnements mobiles y progressent de 7 % l’an, mais l’adoption des services data reste freinée par le coût des terminaux. MTN envisage d’introduire des programmes de smartphones subventionnés, inspirés de son initiative au Rwanda, afin d’élargir l’accès.
Un conseiller présidentiel confie que « l’essor d’un écosystème numérique robuste est prioritaire pour la diversification économique », soulignant que l’implication d’acteurs expérimentés comme MTN crée un cercle vertueux entre investissement privé, transfert de compétences et rayonnement régional de la République du Congo.
Télécoms et diplomatie économique
La nomination de Toriola témoigne également du rôle grandissant des conglomérats télécoms dans la diplomatie économique africaine, leur capacité à négocier des licences ou à lever des fonds internationaux façonnant désormais la visibilité externe des États hôtes et la confiance des bailleurs.
En répondant aux critères ESG recherchés par les banques de développement, MTN consolide son influence et facilite l’accès des gouvernements partenaires à des financements concessionnels pour déployer fibre et data centers, comme l’illustre le prêt accordé l’an dernier par la Banque africaine de développement.
Souveraineté numérique et enjeux continentaux
Sur le front géopolitique, la consolidation des réseaux francophones répond aussi à l’ambition de la Zone de libre-échange continentale africaine. Une interopérabilité accrue des infrastructures télécoms facilite le commerce intrarégional et renforce l’autonomie numérique vis-à-vis des grands acteurs extra-africains.
Les chancelleries occidentales observent de près cette évolution, car l’essor d’une colonne vertébrale numérique panafricaine, pilotée par des groupes locaux, pourrait redessiner les flux de données et redistribuer les cartes de l’influence technologique, notamment sur les questions sensibles de souveraineté et de localisation des données.
Objectifs à l’horizon 2030
D’ici 2030, le volume de données échangées en Afrique subsaharienne devrait être multiplié par cinq, selon GSMA. MTN ambitionne de capter 35 % de ce trafic, stratégie qui implique l’expansion de son réseau de fibres terrestres interconnectant Abidjan, Douala et Brazzaville.
La montée en puissance du mobile money dans la région offre par ailleurs un relais décisif ; la plateforme MoMo de MTN revendique déjà 61 millions d’utilisateurs actifs et pourrait devenir, selon le cabinet Deloitte, un acteur bancaire transfrontalier majeur, sous réserve d’harmonisation réglementaire.
Pour accompagner cette trajectoire, le groupe prévoit d’investir 1,5 milliard USD sur cinq ans dans le corridor francophone, dont une partie significative en République du Congo, ciblant notamment des data centers modulaires éconergétiques et des programmes de formation pour ingénieurs locaux.
Dans un entretien, Karl Toriola affirme vouloir « créer un environnement où la jeunesse francophone pourra concevoir ses propres applications et exporter son talent », plaçant ainsi l’innovation endogène au cœur de la feuille de route du groupe et de sa contribution au capital humain.
Pour les capitales concernées, la nouvelle vice-présidence incarne un levier supplémentaire de coopération, car elle combine investissements tangibles et diffusion de standards technologiques, tout en validant le positionnement du Congo-Brazzaville comme hub émergent entre Golfe de Guinée et bassin du Congo.
La page francophone de MTN reste donc à écrire collectivement.