Une injonction présidentielle aux allures de rappel à l’ordre
Félix Tshisekedi n’a laissé planer ni doutes ni délais. Le 3 avril, le chef de l’État congolais a sommé, lors d’un conseil restreint, la direction de la Gécamines de revenir « sans délai » sur sa décision de mettre fin au partenariat conclu en 2021 avec le conglomérat sud-africain Guma de Robert Gumede pour le développement du gisement de Musonoï East, situé à Kolwezi. « C’est un signal de souveraineté », confie un conseiller proche du dossier, rappelant que le contrat avait été rompu unilatéralement par la société publique en février, officiellement pour non-respect des obligations d’investissement.
Musonoï East, diamant brut du Triangle du cuivre-cobalt
Avec des ressources estimées à plus de 2,5 millions de tonnes de cuivre et 200 000 tonnes de cobalt selon les audits réalisés en 2020, Musonoï East figure parmi les gisements les plus prometteurs du Copperbelt congolais. À l’heure où la transition énergétique dope la demande mondiale, la mine attire toutes les convoitises. Les cours du cobalt ont reculé depuis leur pic de 2022, mais les batteries de véhicules électriques et les réseaux de stockage offrent à long terme des perspectives suffisamment robustes pour justifier une guerre d’influence autour de la concession.
Comment Abu Dhabi a avancé ses pions à Kinshasa
L’intérêt de l’émirat pour le sous-sol congolais ne date pas d’hier. En décembre 2022, la RDC et les Émirats arabes unis ont scellé un mémorandum élargissant leur coopération au secteur minier. Début 2023, le fonds souverain Mubadala, épaulé par International Resources Holding (IRH), a transmis à la présidence congolaise une liste d’actifs ciblés, parmi lesquels Musonoï East. Les Émiratis proposaient un schéma de financement rapide — 800 millions de dollars d’investissements directs assortis d’une facilité de prépaiement du cuivre — qui aurait permis à la Gécamines d’améliorer ses revenus en amont.
Le pari contrarié du magnat sud-africain Robert Gumede
Figure emblématique du black business sud-africain, Robert Gumede avait obtenu, en 2021, 70 % du véhicule commun Musonoï Mining grâce à un engagement d’investissement de 250 millions de dollars. Ses équipes affirment avoir déjà investi 42 millions dans des études et dans des travaux préparatoires. « Rompre le contrat aurait envoyé un signal désastreux aux investisseurs africains », estime un cadre de Guma (Johannesburg, 2024). La proximité affichée de Gumede avec Pretoria a toutefois nourri le soupçon, à Kinshasa, d’un retour d’influence sud-africain jugé intrusif par certains cercles du pouvoir.
Souveraineté minérale et équilibres diplomatiques
Placée sous pression par le déficit budgétaire et par les attentes sociales, la présidence congolaise tente de conjuguer afflux de capitaux et contrôle accru sur ses ressources. D’un côté, elle multiplie les signaux d’ouverture à l’égard des partenaires du Golfe, capables de financer des infrastructures en échange d’approvisionnements sécurisés. De l’autre, elle ne souhaite pas froisser Pretoria, principal médiateur régional lors des tensions à l’est du pays. La décision de rétablir Robert Gumede dans ses droits, tout en laissant la porte entrouverte à une entrée minoritaire d’IRH, illustre cet exercice d’équilibrisme diplomatique.
Les marges de manœuvre de la Gécamines
Longtemps considérée comme un géant aux pieds d’argile, la Gécamines a regagné du poids sous la présidence de Tshisekedi, grâce notamment au rapatriement de dividendes dues par ses partenaires internationaux. Pour autant, ses capacités propres de financement demeurent limitées. Le PDG Guy-Robert Lukama plaide pour un modèle hybride, mêlant joint-ventures capitalistiques et contrats de vente anticipée du métal. Selon un document interne consulté par notre rédaction, Musonoï East pourrait atteindre une production de 120 000 tonnes de cuivre et 12 000 tonnes de cobalt par an à partir de 2027, sous réserve d’un investissement initial d’environ 600 millions de dollars.
Vers un accord tripartite ou une nouvelle bataille juridique ?
Le scénario désormais privilégié par Kinshasa consisterait à maintenir la participation majoritaire de Guma, tout en ouvrant 20 % du capital à IRH, afin de bénéficier des facilités de financement émiraties. Reste que les discussions achoppent sur la répartition future de la commercialisation du concentré. Les Émiratis souhaitent un accès direct au cuivre raffiné pour alimenter leur hub industriel d’Abu Dhabi, tandis que Gécamines insiste pour écouler une partie de la production via sa nouvelle plateforme de trading à Lubumbashi. Des sources proches du ministère congolais des Mines reconnaissent que « l’arbitrage présidentiel sera déterminant dans les toutes prochaines semaines ».
Un test grandeur nature pour la stratégie de transition verte de Kinshasa
Au-delà du seul dossier Musonoï East, c’est la crédibilité de la République démocratique du Congo comme fournisseur fiable de minerais de transition qui se joue. Les tensions contractuelles passées, notamment avec China Moly au sujet de Tenke Fungurume, ont érodé la confiance des marchés. En imposant un cadre plus transparent et en rééquilibrant les partenariats, le pouvoir congolais espère concilier exigences nationales et attentes des investisseurs internationaux. « L’enjeu n’est plus simplement de savoir qui exploitera la mine, mais de démontrer que la RDC maîtrise son calendrier et ses engagements », analyse une diplomate européenne en poste à Kinshasa.