Une visite parlementaire à haute teneur symbolique
La capitale économique ivoirienne a offert, le temps d’une cérémonie de clôture de session, un décor chargé de solennité : pupitre orné de l’emblème national, tapis rouge, garde républicaine en grande tenue. Au cœur de cette scénographie, Isidore Mvouba, président de l’Assemblée nationale congolaise, a pris la parole en invité d’honneur, devant un hémicycle qui comptait le Premier ministre Robert Beugré Mambé, la présidente du Sénat Kandia Camara et un parterre de diplomates, de chefs traditionnels et de responsables religieux. La présence d’un président de chambre étrangère à la tribune ivoirienne, rarissime, souligne d’emblée la dimension stratégique accordée par Abidjan et Brazzaville à l’outil parlementaire comme vecteur d’influence et de coopération.
Des affinités historiques consolidées par la Francophonie
Les connivences entre les deux pays ne datent pas d’hier. Dès les années 1960, les fondateurs de leurs diplomaties respectives se fréquentaient dans les cercles panafricains. Plus récemment, la XVIᵉ Conférence de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, accueillie en 2025 à Brazzaville, a servi de catalyseur. C’est là que l’actuel président de l’Assemblée ivoirienne, Adama Bictogo, et son homologue congolais ont noué un dialogue direct, rapidement prolongé par la création de groupes d’amitié bilatéraux. La visite d’Abidjan marque ainsi l’aboutissement d’un processus entamé sous l’égide francophone, structuré autour de la promotion du multilinguisme, de l’État de droit et de la bonne gouvernance, thèmes chers aux deux capitales.
La diplomatie parlementaire, maillon complémentaire de l’action étatique
En citant « le devoir impérieux de veiller à ce que cette flamme brille à jamais », Isidore Mvouba a insisté sur la responsabilité des élus à élargir l’espace diplomatique traditionnel. De fait, la diplomatie parlementaire gagne du terrain sur le continent. L’Assemblée nationale congolaise a consacré plus de dix déplacements bilatéraux en 2024, tandis que son homologue ivoirienne multiplie les sessions de travail avec le Nigeria et le Ghana. Les experts voient dans ce mouvement un moyen de contourner la lenteur parfois inhérente aux chancelleries, en misant sur la proximité des représentants du peuple pour accélérer la ratification d’accords sectoriels ou l’harmonisation normative indispensable à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Denis Sassou Nguesso et Alassane Ouattara, piliers politiques du tandem
Les messages transmis à Abidjan ne pouvaient éluder les Chefs d’État. Louant des « personnalités d’exception », Isidore Mvouba a rappelé que la convergence de vues entre Denis Sassou Nguesso et Alassane Ouattara s’est illustrée ces dernières années sur des dossiers sensibles, de la médiation en République centrafricaine à la reforme du Fonds africain de solidarité. Aux yeux des observateurs, cette entente au sommet assure aux initiatives parlementaires un appui politique précieux, gage de continuité quelle que soit l’agenda électoral.
Des opportunités économiques en quête de canalisation
Le discours de l’orateur congolais n’a pas ignoré la dimension marchande, invitant les « talentueux hommes et femmes d’affaires de Côte d’Ivoire » à investir dans l’agro-industrie et la logistique fluviale du Congo. Les flux bilatéraux restent modestes – 86 millions de dollars en 2023 selon les douanes ivoiriennes – mais leur progression annuelle de 12 % alimente les projections. L’ouverture prochaine du port sec d’Oyo, couplée au corridor routier Pointe-Noire-Brazzaville-Ouesso-San Pedro, pourrait redistribuer les cartes régionales du transport du cacao et du bois. Les parlementaires entendent suivre ces dossiers « avec la plus grande vigilance » pour garantir la sécurité juridique indispensable aux investisseurs.
Abidjan, vitrine urbaine et horizon inspirationnel
Qualifiée de « petite Manhattan de l’Afrique », Abidjan a offert au visiteur congolais l’image d’une métropole en pleine effervescence, où les chantiers du quartier d’affaires du Plateau ou de la zone portuaire de Treichville façonnent un skyline africain assumé. Les applaudissements nourris ayant ponctué l’allocution d’Isidore Mvouba traduisent la fierté ivoirienne de présenter ses réussites urbaines et logistiques. Pour Brazzaville, ces réalisations constituent un laboratoire d’idées en matière d’aménagement du territoire, notamment sur la mobilité en site propre ou la gestion des marchés d’intérêt national.
Perspectives régionales et rôle de l’intégration législative
L’un des principaux résultats de la visite réside dans l’annonce d’un calendrier conjoint de commissions mixtes, orientées vers la sécurité frontalière, la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée et la transformation numérique des administrations parlementaires. Les deux présidents d’assemblée espèrent inscrire dans les faits un adage cher aux chancelleries africaines : aucune intégration régionale durable ne se construit sans l’aval des représentants du peuple. À l’horizon 2026, la feuille de route conjointe prévoit également des missions d’observation électorale croisée, signe de confiance mutuelle et d’attachement partagé aux normes démocratiques.
Un momentum diplomatique à capitaliser
En définitive, l’ovation réservée à Isidore Mvouba ne se résume pas à une marque de courtoisie. Elle incarne la reconnaissance d’un alignement d’intérêts entre deux États d’Afrique centrale et occidentale soucieux de diversifier leurs partenariats et de peser dans les enceintes continentales. Comme l’a confié un député ivoirien sous couvert d’anonymat, « la meilleure façon d’amplifier la voix africaine, c’est d’unir nos microphones ». Reste désormais à transformer l’élan de la cérémonie d’Abidjan en réformes tangibles, que ce soit dans l’accélération des paiements interbancaires ou dans la reconnaissance mutuelle des diplômes, autant de domaines où la diplomatie parlementaire peut, par ses rapports et recommandations, irriguer l’action gouvernementale.