Ce qu’il faut retenir
La remise, à Moscou, d’un Professor Honoris Causa à NJ Ayuk consacre l’influence du patron de la Chambre africaine de l’énergie. Prix symbolique, il éclaire la bataille menée pour transformer les réserves africaines de pétrole et de gaz en prospérité industrielle, inclusive et bas-carbone.
Un doctorat honorifique très stratégique
Décerné par l’Institut d’ingénierie énergétique de Moscou, le titre fait d’Ayuk un « professeur » reconnu par une institution russe en pointe sur le nucléaire et le gaz. Ce geste académique traduit aussi l’offensive diplomatique de la Russie pour tisser des alliances durables sur le continent.
Sous les dorures du cérémonial, l’enjeu reste politique : légitimer la voix d’un Africain prônant un mix énergétique pragmatique. Selon les organisateurs, Ayuk incarne « la justice énergétique », notion qui défend l’accès universel à l’électricité sans sacrifier la croissance ni l’autonomie technologique.
L’AEC, lobby pro-développement inclusif
Créée à Johannesburg en 2018, l’African Energy Chamber (AEC) pilote des rapports, roadshows et plaidoyers auprès des États et bailleurs. Avec Ayuk à sa tête, la structure défend la réduction des barrières fiscales pour mobiliser du capital et favoriser le contenu local.
L’organisation argue que l’exportation brute de ressources assure peu d’emplois. Elle milite donc pour la valorisation in situ du gaz, via engrais, électricité et pétrochimie. Ce discours rencontre un écho grandissant chez les gouvernements, soucieux de diversifier leurs économies et de sécuriser leurs recettes fiscales.
Transfert de technologie : le défi des chaînes de valeur
À Moscou, Ayuk a répété que le salut passait par le transfert de savoir-faire. Il cite l’exemple russe : utiliser la production de gaz pour soutenir la métallurgie, l’agro-industrie et la chimie. Pour lui, l’Afrique doit importer les compétences, pas seulement exporter les molécules.
Les observateurs rappellent pourtant l’écueil classique : sans cadre réglementaire stable, les multinationales externalisent la haute valeur ajoutée. Ayuk plaide alors pour des « Local Content Acts » plus ambitieux, couplés à des écoles techniques capables de former rapidement soudeurs, opérateurs et ingénieurs de maintenance.
Focus Congo-Brazzaville : gaz et diversification
La République du Congo, déjà productrice de pétrole, mise désormais sur le gaz pour financer son Plan national de développement. Brazzaville a signé plusieurs accords de liquéfaction flottante, tout en insistant sur l’électrification des villes secondaires et la création d’unités d’engrais destinées à l’agriculture locale.
Dans les cercles économiques, on souligne que la collaboration avec des groupes russes peut accélérer la mise en œuvre des infrastructures prévues, en complément des partenariats existants avec l’Italie ou la Chine. L’objectif affiché par les autorités est clair : maximiser les retombées internes et sécuriser l’emploi jeune.
Partenariats Russie–Afrique : un nouvel élan
Depuis le sommet Russie–Afrique de 2023 à Saint-Pétersbourg, Moscou multiplie les mémorandums dans le nucléaire civil, la logistique portuaire et la distribution d’engrais. Rosatom discute, par exemple, de mini-centrales modulaires destinées aux zones enclavées du Sahel et des Grands Lacs.
Pour certains experts, l’AEC sert de passerelle entre ces offres russes et les priorités africaines. « La clé sera d’obtenir des financements mixtes qui limitent la dette publique », avance un banquier d’Abidjan. Ayuk, lui, insiste sur la création de coentreprises capables de relocaliser les pièces critiques.
Voix de la justice énergétique
Au-delà des deals, Ayuk martèle que la transition ne doit pas reproduire les inégalités du passé. Il s’oppose aux moratoires occidentaux sur le financement gazier, estimant qu’« on ne peut pas décarboner la misère ». Cette posture renforce sa stature auprès des gouvernements africains.
Scénarios à moyen terme
Scénario optimiste : les pays producteurs concrétisent trois à cinq complexes gaziers intégrés d’ici 2030, soutenus par un afflux de capitaux russes, asiatiques et africains. Les retombées estimées : 100 000 emplois directs, un supplément de 20 GW au réseau et une facture d’engrais divisée par deux.
Scénario prudent : la volatilité des prix et les tensions géopolitiques retardent les décisions finales d’investissement. Certains projets deviennent modulaires, s’appuyant sur des financements climatiques pour atténuer les risques. L’AEC verrait alors son rôle de courtier d’influence renforcé, mais l’effet d’entraînement sur l’industrie locale resterait limité.
Et après ?
Ayuk promet d’utiliser sa chaire honorifique pour lancer un programme d’échanges entre universités africaines et russes, centré sur la liquéfaction, le captage de carbone et l’hydrogène bleu. Les premières bourses, financées par des opérateurs privés, pourraient être attribuées dès le second semestre 2025.
Du côté de Brazzaville, la feuille de route ministérielle prévoit déjà des visites d’étude pour ses jeunes ingénieurs. « Une façon concrète d’accélérer le transfert de compétences sans casser la trajectoire budgétaire », confie un conseiller, convaincu que la coopération triangulaire Russie–Congo–AEC servira d’effet de levier.
En filigrane, la distinction moscovite rappelle que la transition énergétique africaine se jouera aussi dans les amphis et les laboratoires. Entre diplomatie académique, lobbying économique et impératif social, NJ Ayuk capitalise sur un récit mobilisateur : faire de l’énergie le socle d’une croissance souveraine.