Ce qu’il faut retenir
À Nouadhibou, deuxième ville de Mauritanie, des enseignants migrants ont créé un établissement gratuit ou presque pour les enfants sans titre de séjour. L’école sécurise leurs parcours, réduit la tentation de la mer et devient un indicateur clé des pressions migratoires régionales.
Nouadhibou, carrefour migratoire sous tension
Frontalière du Sahara et à quelques jours de navigation des Canaries, la cité minière concentre pêcheurs, commerçants et candidats au départ. Depuis 2024, les patrouilles conjointes mauritano-européennes ont durci les contrôles, comprimant le nombre d’embarquements mais accroissant la précarité des familles bloquées.
Une salle de classe née dans un appartement
C’est au premier étage d’une modeste maison, entre filets de pêche et motos-taxis, que l’Organisation de soutien aux migrants et réfugiés installe en 2018 ses tableaux et ses bureaux. Vingt chaises, trois cahiers par élève : le décor tient de l’improvisation assumée.
Pédagogie plurilingue et inclusive
Les enseignants, originaires du Cameroun, du Mali ou du Sénégal, alternent français, arabe et langues nationales. L’objectif est double : faciliter l’intégration locale et conserver les atouts scolaires nécessaires à une éventuelle réinsertion au pays d’origine ou en Europe, explique la Camerounaise Blanche, volontaire.
Des élèves porteurs d’itinéraires heurtés
« Ils ont traversé le désert, parfois fui la guerre », rappelle le directeur Sahid Moluh. La première heure quotidienne sert à libérer la parole, avant d’enchaîner mathématiques et lecture. Psychologues partenaires interviennent une fois par mois pour repérer les traumatismes restés silencieux.
Contexte : chiffres en recul mais pression sociale intacte
Selon Frontex, 12 000 migrants ont gagné les Canaries entre janvier et août 2025, soit 50 % de moins qu’en 2024. Cette accalmie statistique masque une réalité locale : les familles coincées sans revenus voient leurs ressources et leurs espoirs s’éroder au fil des mois.
Financement participatif et loyers instables
L’école demande 600 ouguiyas mensuels, environ 13 euros. Mais depuis la rentrée, seuls 80 élèves se sont inscrits sur une capacité de 250. Les bénévoles acceptent des salaires symboliques, et le propriétaire menace de doubler le loyer, confie Amsatou Vepouyoum, présidente de l’Organisation.
Le point juridique/éco
La carte de résidence mauritanienne conditionne l’accès au travail et aux services publics. Sans elle, les migrants risquent l’interpellation et l’expulsion. Les rafles ciblent surtout les hommes, minant les budgets familiaux et compliquant le paiement régulier des fournitures scolaires et des soins de santé.
Cartes et graphiques à la loupe
Une carte fournie par l’Organisation trace les routes terrestres Mali-Mauritanie-Maroc et les voies maritimes vers les Canaries. Un graphique montre la corrélation entre baisses d’arrivées en Espagne et hausse d’enfants scolarisés dans l’école, illustrant le rôle stabilisateur de l’éducation de proximité.
Le rôle discret des autorités
Officiellement, Nouakchott soutient l’éducation pour tous. Dans la pratique, l’école fonctionne sans subvention directe, mais les inspecteurs ferment les yeux lors des contrôles. « Cette tolérance pragmatique évite d’alimenter la rue », observe un fonctionnaire mauritanien qui requiert l’anonymat.
Scénarios à court terme
Si l’Europe maintient son soutien financier à la Mauritanie, les contrôles devraient rester stricts. L’école pourrait alors accueillir plus d’enfants, sous réserve de locaux élargis. À l’inverse, une brusque réouverture maritime viderait les classes, mais accroîtrait les risques de naufrages.
Scénarios à moyen terme
L’arrivée d’ONG internationales offrirait un financement pérenne et une structuration académique officielle. Un partenariat avec le ministère mauritanien de l’Éducation transformerait le centre en établissement pilote d’inclusion, susceptible d’être reproduit à Nouakchott ou à Rosso.
Et après ?
Les fondateurs veulent introduire une filière professionnelle orientée vers la logistique portuaire et la pêche, secteurs en tension. Objectif : retenir les adolescents qui, à 15 ans, envisagent déjà la pirogue. Des pourparlers sont en cours avec deux armateurs locaux.
Des familles entre espoir local et horizon lointain
Yama Fama Ndiaye, 12 ans, se rêve infirmière. Son père, débiteur d’une dette de voyage, hésite toujours entre un embarquement clandestin et l’installation durable. L’école devient ainsi un baromètre des projections familiales dans un environnement marqué par l’incertitude.
Regards croisés d’experts
Pour le sociologue sénégalais Abdoulaye Diallo, « l’éducation ralentit la migration sans la stopper ». L’économiste mauritanien Moulaye Ahmed y voit une aubaine de main-d’œuvre qualifiée. Les deux s’accordent : la question n’est plus d’ouvrir ou fermer la porte, mais d’accompagner les mobilités.
La parole aux élèves
Fatou, 10 ans, sait écrire son nom depuis trois mois. Elle brandit un cahier écorné, décoré d’un drapeau espagnol et d’une pirogue dessinés au crayon. « Je veux rester ici pour être docteure », sourit-elle, avant d’ajouter, presque chuchotant : « ou peut-être à Las Palmas ».
Photographies de terrain
Une série de clichés montre des rangées de sandales devant la porte, des tableaux couverts de conjugaisons et un enseignant improvisant un globe terrestre avec une orange. Les images, signées par notre correspondante, rappellent la puissance du bricolage pédagogique.
Une réussite fragile mais inspirante
En six ans, plus de 800 enfants ont fréquenté l’école. Certains ont poursuivi des études à Nouakchott, d’autres ont rejoint l’Europe avec un niveau suffisant pour s’inscrire. Le projet prouve qu’une initiative locale peut peser dans la gouvernance migratoire régionale.
Signal aux décideurs
Les diplomates européens présents à Nouadhibou visitent régulièrement le centre. « C’est un chaînon essentiel de notre approche partenariale », déclare un conseiller de l’UE. Les bailleurs privés sont néanmoins attendus pour pérenniser les salaires et financer du matériel numérique.
Message aux diasporas
L’Organisation prépare une campagne de collecte auprès des diasporas africaines installées en Europe. L’objectif est de réunir 15 000 euros pour acheter un immeuble complet et ouvrir un atelier couture. Une carte interactive présentera l’avancement des dons sur le site du projet.
Dernier mot
À Nouadhibou, la mer reste la ligne d’horizon, mais le tableau noir trace une alternative. L’école des migrants rappelle qu’enseigner, c’est repousser les frontières de l’incertitude et, parfois, éviter celles des passeurs.
