Un continent en déficit énergétique durable
Les chiffres publiés par la Banque mondiale révèlent une réalité qui peine à émouvoir les marchés mondiaux : près de 600 millions d’Africains vivent toujours sans accès fiable à l’électricité, soit plus de la moitié de la population du continent. Cette pénurie structurelle – à laquelle le Congo-Brazzaville n’échappe pas malgré les progrès enregistrés dans le Plan national de développement – pèse lourdement sur l’industrialisation, la santé publique et la compétitivité des économies régionales. Pour respecter l’Objectif de développement durable n°7 avant 2030, il faudrait connecter, chaque année, quelque 75 millions d’habitants supplémentaires au réseau, un taux que ni les hydrocarbures ni le solaire autonome ne pourront absorber seuls.
Le retour d’un débat jadis tabou
Longtemps cantonné aux laboratoires des agences spécialisées, le débat sur l’atome civil reprend ses droits dans les chancelleries africaines. Les craintes suscitées par Tchernobyl et Fukushima n’ont pas disparu, mais elles s’inscrivent désormais dans une perspective technique davantage que politique. Les indicateurs consolidés par l’Agence internationale de l’énergie atomique montrent que le nucléaire présente le plus faible taux de mortalité par kilowattheure parmi toutes les filières de production, y compris solaires ou hydroélectriques (AIEA, 2023). Cette donnée, somme toute contre-intuitive, irrigue aujourd’hui les argumentaires officiels de Kigali, du Caire et de Brazzaville, où l’on rappelle que le combustible fossile tue silencieusement par la pollution de l’air.
Des innovations de rupture rassurantes
L’argument technologique constitue un pivot central. Les réacteurs à systèmes de sécurité passive, qu’il s’agisse de l’AP1000 américain ou du VVER-1200 russe, sont conçus pour s’arrêter sans intervention humaine en cas d’anomalie, un progrès radical comparé aux installations mises en cause lors des catastrophes des années 1980. À plus longue échéance, les petits réacteurs modulaires (PRM) – d’une puissance comprise entre 50 et 300 MW – redéfinissent les standards de flexibilité. Dans un entretien accordé récemment à notre revue, le professeur Anicet Samba, conseiller au ministère congolais de la Recherche scientifique, estime que « la modularité des PRM épouse le maillage territorial des États africains, où les charges se concentrent autour de pôles urbains et miniers ». Cette approche graduelle limite les besoins en réseau de transport et réduit les tickets d’entrée pour les investisseurs.
Partenariats stratégiques et diplomatie énergétique
L’Afrique ne part pas d’une feuille blanche. L’Égypte a lancé à El Dabaa quatre unités de 1 200 MW pour un montant global de 30 milliards de dollars ; l’Afrique du Sud prolonge la vie de Koeberg, tandis que le Ghana, le Rwanda ou le Kenya négocient des accords de coopération avec NuScale, EDF ou Rosatom. Brazzaville observe ces mouvements de près. Lors du sommet États-Unis–Afrique de Washington, le président Denis Sassou Nguesso a rappelé que « la souveraineté énergétique suppose une diversification technologique et géographique de nos partenariats ». Sur le plan diplomatique, les capitales recherchent un équilibre subtil entre les offres concurrentes, veillant à maximiser le transfert de compétences locales et la mutualisation des coûts de cycle du combustible.
Impacts macroéconomiques et climat d’investissement
Les modèles macroéconomiques développés par la Commission économique pour l’Afrique indiquent que la disponibilité d’une base électrique nucléaire stable pourrait accroître le PIB régional de près de 1,3 point par an entre 2035 et 2050. Les investisseurs institutionnels, séduits par la prévisibilité des cash-flows, reconsidèrent un secteur longtemps jugé trop capitalistique. La Banque africaine de développement, la Banque islamique de développement et plusieurs fonds souverains du Golfe planchent sur des instruments de financement hybrides, combinant prêts concessionnels, garanties de rachat et crédits carbone. L’intégration d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne accentue, par ailleurs, la valeur stratégique d’une électricité propre pour les exportations africaines, notamment dans l’agro-industrie et la métallurgie.
La gouvernance de la sûreté au cœur du projet
Toute ambition nucléaire crédible s’appuie sur une architecture réglementaire solide. Sous l’égide de l’Agence panafricaine de l’énergie atomique, créée en 2019, un corpus de normes harmonisées se met progressivement en place. Kinshasa, Lagos et Brazzaville participent au chantier, convaincus que la mutualisation des inspections et des formations réduira les coûts tout en rehaussant le seuil de sûreté. Selon Marie-Noëlle Iloki, directrice de l’Autorité congolaise de radioprotection, « l’alignement sur les standards de l’OCDE-AEN consolidera la confiance des opinions publiques et l’appétit des bailleurs ». De fait, la transparence devient une arme diplomatique ; elle rassure les populations et crédibilise les gouvernements face aux partenaires internationaux.
Atome civil et agenda de développement congolais
Dans le cas spécifique du Congo-Brazzaville, l’atome civil s’intègre à une feuille de route plus large, articulée autour du Plan national de développement 2022-2026 et des engagements pris lors des COP successives. L’hydroélectricité reste la colonne vertébrale du mix, mais son caractère saisonnier plaide pour une solution d’appoint à faible intensité carbone. La mise en service, à moyen terme, d’un PRM proche de Pointe-Noire – où se concentrent les activités pétrolières – pourrait sécuriser l’alimentation électrique des installations offshore et libérer des volumes de gaz pour l’exportation, améliorant in fine la balance des paiements. La perspective n’est pas dénuée de défis, financiers comme politiques, mais elle s’aligne avec l’objectif de neutralité carbone que Brazzaville affiche dans les enceintes multilatérales.
Une fenêtre d’opportunité à saisir
L’Afrique se trouve à la croisée des chemins. L’essor démographique, conjugué à l’urgence climatique, commande la construction rapide d’un parc électrique massif, stable et propre. La combinaison des renouvelables et du nucléaire offre un mix robuste susceptible d’éviter au continent le paradoxe d’une croissance contrainte par la rareté énergétique. Pour les dirigeants, la question n’est plus de savoir si l’atome a sa place en Afrique, mais de maîtriser les paramètres technologiques, financiers et sociétaux d’une intégration ordonnée. En cela, le Congo-Brazzaville, fort d’une tradition de diplomatie équilibrée et d’une vision de long terme, pourrait devenir l’un des laboratoires d’une souveraineté énergétique africaine pleinement assumée.
