Ce qu’il faut retenir
À New York, une dizaine de chefs d’État africains ont profité de la tribune de l’Assemblée générale pour réclamer une réforme courageuse de l’ONU. Gouvernance mondiale, financement de la paix, accès à l’énergie et reconnaissance diplomatique : leurs requêtes convergent, dessinant une feuille de route africaine pour un multilatéralisme plus inclusif.
Discours de Brazzaville à New York
En ouvrant le bal, Denis Sassou Nguesso a répondu « oui » à ceux qui doutent de l’utilité des Nations unies, tout en posant la condition d’une évolution rapide de l’institution. Le président congolais a invoqué « courage, solidarité et responsabilité » pour rapprocher l’ONU des peuples et relever les défis globaux.
Son propos, salué par plusieurs délégations, rappelle que Brazzaville défend depuis longtemps un multilatéralisme équilibré, facteur de stabilité dans le Bassin du Congo et au-delà. En pleine pression budgétaire sur le système onusien, le message vise à consolider la légitimité d’une organisation souvent critiquée mais demeurant le cadre commun.
L’Afrique et le Conseil de sécurité
Le Sénégalais Bassirou Diomaye Faye a prolongé l’argumentaire en réclamant une « représentation plus juste et plus équitable de l’Afrique » au Conseil de sécurité. Selon lui, la réforme de la gouvernance politique, économique et financière mondiale doit placer le continent au cœur des délibérations pour rendre l’ONU réellement universelle.
Le chef d’État a insisté sur un cadre fiscal mondial équitable et sur un accès au crédit durable. « L’aide publique n’est pas la solution », a-t-il martelé, défendant une architecture financière qui libère les marges de développement en Afrique et limite le fardeau de la dette souveraine.
Paix et sécurité: la demande d’un financement pérenne
Sur le front sécuritaire, le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra a rappelé que, d’ici 2025, plus de 40 % des conflits armés mondiaux risquent de se dérouler en Afrique. Il plaide pour un financement pérenne des opérations de paix, basé sur des contributions obligatoires et non sur le volontariat parfois imprévisible.
L’argument s’appuie sur le précédent du Sahel, où l’absence de ressources constantes a compliqué la stabilisation. Pour Bangui, sans sécurité il n’y aura ni prospérité ni droits humains effectifs. Plusieurs capitales, y compris Brazzaville, partagent ce diagnostic, privilégiant une approche concertée au sein du Conseil de sécurité.
Transition énergétique et développement
Le Malgache Andry Rajoelina a choisi l’angle énergétique pour illustrer les défis. Son objectif : 70 % d’électricité verte en 2028 après être passé de 24 % à 40 % d’accès en six ans. Il voit dans la transition une condition incontournable de tout développement inclusif et d’une participation accrue au commerce mondial.
À Antananarivo, des manifestations prévues contre les coupures illustrent cependant la tension entre ambitions vertes et réalités sociales. La question résonne aussi à Kinshasa, Lagos ou Douala : comment financer les infrastructures sans alourdir la dette ? D’où l’importance des mécanismes évoqués par le Sénégal et soutenus par les autres.
Mayotte, dernière blessure coloniale
Le président comorien Azali Assoumani a ravivé le dossier de Mayotte, qualifié de « dernière blessure » de la décolonisation. Par ce rappel, Moroni cherche à maintenir la question dans l’agenda onusien sans compromettre la coopération régionale. Paris observe, tandis que l’Union africaine soutient une issue négociée respectueuse du droit international.
Kenya-Haïti: une solidarité testée
Sur Haïti, le Kényan William Ruto a demandé un renforcement de la Mission multinationale de sécurité, active avec seulement mille hommes contre les 2 500 prévus. Il estime que des ressources additionnelles montreraient la solidarité concrète réclamée par Port-au-Prince et mettraient fin au cycle d’insécurité alimenté par les gangs.
Scénarios possibles de réforme onusienne
Si les appels africains convergent, leur traduction opérationnelle dépendra d’alliances mouvantes à New York. Le projet de siège permanent pour l’Afrique au Conseil de sécurité pourrait avancer si Washington et Pékin y voient un levier d’équilibre. À défaut, un élargissement des sièges non permanents reste envisageable.
Sur le financement des opérations de paix, la proposition de contributions obligatoires nécessitera l’aval du Comité budgétaire de l’ONU. Certains États membres redoutent un accroissement de leur quote-part. Un compromis pourrait combiner fonds obligatoires et mécanismes innovants, comme les taxes carbone sur le transport maritime ou aérien.
Et après ? les capitales se mobilisent
L’agenda des réformes sera évalué lors du Sommet du futur prévu en 2024. D’ici là, les capitales africaines entendent travailler en bloc, sous la coordination de l’Union africaine, pour présenter des propositions détaillées et chiffrées. Brazzaville accueillera une réunion préparatoire sur la gouvernance climatique et sécuritaire.
Cette démarche collective veut rompre avec l’image d’« éternels demandeurs ». En prônant équité fiscale et transition énergétique, les dirigeants arrivent avec des solutions. Aux bailleurs de soutenir des projets prêts à l’investissement et mesurables.
En attendant, le discours de Denis Sassou Nguesso rappelle que le multilatéralisme demeure un bien public. Son appel à ne « pas laisser l’histoire se faire sans nous » résonne comme une invitation à élargir la démocratie internationale plutôt qu’à la réinventer, tout en renforçant la voix africaine.
Les opinions publiques africaines jugeront ces discours aux résultats : courant électrique fiable, emplois verts, sécurité. Le succès diplomatique se mesurera donc à l’impact concret, gardien de la confiance dans l’ordre réformé.