Paris en architecte d’un rendez-vous humanitaire hautement politique
Annoncée pour le 25 juillet, la conférence internationale qu’entend accueillir Emmanuel Macron se veut, sur le papier, strictement consacrée à l’urgence humanitaire dans l’Est de la République démocratique du Congo. La formule est classique : placer la neutralité des besoins humanitaires au sommet de l’agenda pour mieux contourner les crispations politiques. Pourtant, derrière l’intitulé, Paris assume une ambition plus large. Selon l’Élysée, il s’agit d’« associer toutes les parties prenantes régionales afin de créer un espace de dialogue sur les causes profondes de la crise ». En d’autres termes, la France souhaite mettre à profit l’élan compassionnel pour orchestrer une séquence de rapprochement entre Kigali et Kinshasa, tout en projetant l’image d’une puissance médiatrice soucieuse de stabilité continentale.
Une crise humanitaire qui interroge l’équilibre sécuritaire régional
Depuis la résurgence du M23 en 2022, plus de trois millions de civils ont été déplacés, majoritairement dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Le Programme alimentaire mondial estime que 6,7 millions de personnes y souffrent d’insécurité alimentaire aiguë. Cette situation, qualifiée d’« ouragan silencieux » par une haute responsable onusienne, survient dans un environnement saturé d’acteurs armés et de rivalités inter-étatiques. Le Rwanda, accusé par Kinshasa de soutenir le M23, réfute toute implication directe et met en avant la nécessité de neutraliser les Forces démocratiques de libération du Rwanda encore actives au Kivu. Au-delà des récriminations croisées, la détérioration humanitaire alimente un risque de conflagration régionale que la France prétend désamorcer par la voie diplomatique.
Le scepticisme feutré de l’Union africaine face à l’agenda français
Si Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, salue officiellement toute initiative humanitaire, les couloirs d’Addis-Abeba bruissent de réserves. Plusieurs diplomates rappellent que le mécanisme de Nairobi, piloté par l’ex-président kényan Uhuru Kenyatta, et la médiation angolaise sous l’égide de João Lourenço existent déjà. Certains craignent qu’une grande messe organisée à Paris ne fragmente la réponse régionale ou n’offre à la France un rôle de chef d’orchestre que contesteraient volontiers les capitales africaines désireuses de solutions endogènes. À huis clos, un diplomate ouest-africain ironise : « Il ne faudrait pas que la compassion serve de marchepied à la compétition des puissances ». Pour dissiper ces doutes, l’Élysée promet de « travailler en pleine synergie » avec les formats existants et de céder la présidence de certaines sessions aux organisations régionales.
Brazzaville, un partenaire discret mais écouté
Au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, la diplomatie congolaise de Brazzaville joue volontiers la carte de la pondération. Fort de plus de quatre décennies d’expérience au pouvoir, Denis Sassou Nguesso bénéficie d’une aura de sage régional que Paris n’ignore pas. Selon une source gouvernementale congolaise, Brazzaville a été consultée « en amont » et encourage tout forum susceptible de soulager les populations civiles, tout en plaidant pour le respect des mécanismes de sécurité collective africains. Cette posture prudente renforce la crédibilité de la conférence : en associant un voisin réputé pour sa culture de la médiation, l’Élysée s’offre un gage d’équilibre perçu favorablement tant à Kigali qu’à Kinshasa.
Entre financements et gestes symboliques, la préparation s’intensifie
À Paris, les équipes de la cellule Afrique du Quai d’Orsay planchent sur un paquet financier incluant aides alimentaires, logistique médicale et renforcement des capacités des organisations locales. Les Nations unies, la Banque mondiale et l’Union européenne ont été sollicitées afin de sécuriser des engagements chiffrés avant l’ouverture. Sur le plan symbolique, Emmanuel Macron entend multiplier les signes d’équité : il propose que la séance inaugurale soit prononcée conjointement par Paul Kagame et Félix Tshisekedi, aux côtés du secrétaire général de l’ONU. Reste à savoir si les deux présidents accepteront de partager la même tribune. Un diplomate rwandais souligne que « la présence de Kigali dépendra des garanties sur la neutralité du format », tandis qu’une source congolaise évoque un « saut de confiance » encore incertain.
Ce que pourrait changer un succès de la conférence de juillet
Au-delà des annonces financières, le succès de la rencontre se mesurera à sa capacité à produire un mécanisme de suivi crédible. Paris envisage la nomination d’un envoyé spécial tripartite, adossé à l’Union africaine, chargé de coordonner aide humanitaire et dialogue sécuritaire. Si la formule voyait le jour, elle pourrait renforcer la complémentarité entre initiatives régionales et soutien international, tout en offrant à la France une position de facilitateur plutôt qu’un rôle d’arbitre. Dans le meilleur des scénarios, un début de désescalade militaire ouvrirait la voie à un retour progressif des déplacés et à la relance économique du Kivu. À l’inverse, un échec public accentuerait la fragmentation diplomatique, nourrissant la défiance entre donateurs et acteurs régionaux. D’ici là, tous les regards se tournent vers le 25 juillet, date où l’urgence humanitaire croisera, une fois encore, la géopolitique des Grands Lacs.