Ce qu’il faut retenir
Ce qu’il faut retenir: la nomination à Paris d’Alfred Nguia Banda, vétéran de la diplomatie gabonaise, intervient au moment où Libreville remet à plat ses partenariats extérieurs dans le cadre de la transition enclenchée après la présidentielle d’août 2023.
Contexte: la France reste le premier investisseur et partenaire commercial du Gabon, même si les volumes ont fléchi depuis la crise pétrolière de 2014 et l’épisode postélectoral de 2016.
Portrait d’un diplomate aguerri
Né en 1955 à Franceville, Alfred Nguia Banda a gravi les échelons du ministère des Affaires étrangères avant de diriger, dans les années 2000, le protocole présidentiel puis l’ambassade à Rabat, où il a appris les subtilités du multilatéral africain.
Entre 2016 et 2023, alors que l’opposition contestait la réélection d’Ali Bongo, il s’est installé discrètement à Paris, multipliant les conférences et les réseaux, sans jamais rompre avec Libreville ni avec le Quai d’Orsay.
Son carnet d’adresses mêle patrons du CAC 40, universitaires, élus locaux de la majorité française et jeunes cadres de la diaspora gabonaise, un atout précieux pour redonner de la visibilité à une relation bilatérale parfois éclipsée par la montée en puissance de nouveaux partenaires asiatiques.
Les nouveaux enjeux de l’axe Libreville-Paris
Libreville souhaite diversifier ses recettes post-pétrole en attirant des investissements verts, notamment dans le bois, l’hydrogène et la compensation carbone. La France, qui ambitionne de verdir sa chaîne d’approvisionnement, voit dans le Gabon un laboratoire grandeur nature au cœur du bassin du Congo.
Le diplomate aura pour mission de finaliser la ratification de l’Accord de partenariat stratégique signé en 2021, gelé depuis la transition. Les équipes juridiques étudient une clause garantissant la stabilité fiscale des projets forestiers pour une durée de quinze ans.
Autre dossier sensible, la coopération militaire. Depuis 2020, le format est restreint aux opérations de lutte anti-braconnage et au partage de renseignements maritimes. Alfred Nguia Banda pourrait proposer un nouveau cadre centré sur la sécurisation des corridors logistiques régionaux.
Un retour préparé depuis la Transition
La prise de pouvoir du général Brice Oligui Nguema, fin août 2023, a ouvert une phase de transition saluée par Paris. Le chef de l’État de transition insiste sur « une diplomatie d’ouverture », concept dont Alfred Nguia Banda se veut l’incarnation pratique.
Dès septembre, le diplomate a participé aux consultations nationales sur la réintégration du Gabon au sein du Commonwealth. Il a plaidé pour maintenir un équilibre francophone-anglophone, convaincu que le double ancrage linguistique renforcera le pouvoir de négociation du pays auprès des bailleurs.
Au ministère de l’Économie, on souligne que le retour de confiance de la diaspora est déjà visible: près de 120 millions d’euros de transferts ont été enregistrés entre janvier et octobre 2023, un record depuis huit ans. Les autorités espèrent transformer cette manne en investissements productifs.
Implications régionales pour la CEEAC
L’arrivée d’Alfred Nguia Banda à Paris intervient alors que la Communauté économique des États de l’Afrique centrale peine à avancer sur l’harmonisation des règles douanières. Libreville veut se positionner comme courtier entre Bruxelles, Paris et ses voisins, notamment le Congo-Brazzaville et le Cameroun.
Les diplomates congolais jugent prometteuse la perspective d’un corridor fluvial Pointe-Noire–Port-Gentil qui désengorgerait les ports atlantiques, tout en soutenant la Zone de libre-échange continentale africaine. Une étude conjointe financée par l’AFD doit être présentée au premier trimestre 2024.
Paris suit le dossier de près. « Nous voyons dans cette dynamique régionale une façon d’allier sécurité maritime et intégration économique », confie un conseiller du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, qui salue le sens tactique du nouvel ambassadeur gabonais.
Et après ? Priorités sur la table
À court terme, Alfred Nguia Banda doit organiser une visite à Paris du président de transition. L’enjeu est de rassurer les investisseurs et de convaincre les autorités françaises de soutenir la levée progressive des mesures de suspension de l’aide budgétaire européenne.
Un second front concernera la décarbonation de la filière manganèse, secteur dominant de l’économie gabonaise. L’ambassade souhaite mobiliser les crédits d’expertise française pour moderniser les infrastructures ferroviaires reliant les mines de Moanda au port d’Owendo, tout en réduisant les émissions liées au transport.
Sur le registre culturel, le diplomate entend relancer la Saison Gabon en France, suspendue depuis la pandémie. Objectif: valoriser les jeunes artistes plasticiens et conclure des partenariats universitaires en intelligence artificielle, domaine où le Gabon veut combler son retard dans la sous-région.
Reste l’équation des diasporas. Alfred Nguia Banda promet d’ouvrir une Maison du Gabon à Montreuil, épicentre historique de la communauté, afin d’y proposer des services consulaires numériques et des guichets projets en lien avec la Banque de développement des États d’Afrique centrale.
Les partenaires européens attendront aussi des signaux clairs sur la transparence budgétaire. Selon un conseiller à Bercy, l’ambassade travaille déjà à la publication trimestrielle des dépenses publiques liées aux grands travaux, une mesure qui pourrait faciliter l’obtention d’une ligne de crédit souverain vert.