La célébration parisienne d’une mémoire plurielle
Ni pluie ni grèves n’auront altéré, le 28 juin 2025, l’effervescence qui régnait à l’Espace Joséphine Baker. Entre effluves de saka-saka et rythmes du tam‐tam bantou, la troisième Journée culturelle congolaise, ouverte par Céphas Germain Ewangui, a pris des allures de forum interculturel. La présence de Parfait Ombéli, conseiller culturel de l’Ambassade, et celle de Mme Radisa Kaaout, cheffe du Haut-commissariat des diasporas africaines, ont conféré à l’événement un relief institutionnel rare pour les manifestations associatives de la diaspora. Au-delà du folklore, il s’agissait d’illustrer ce que l’anthropologue John Comaroff qualifie de « puissance de la narration culturelle », moteur d’une diplomatie parallèle que de nombreux États cultivent aujourd’hui.
Patrimoine immatériel et filiation identitaire des Afrodescendants
Mme Agnès Ounounou, présidente du Haut-conseil représentatif des Congolais de l’étranger (HCRCE), a rappelé qu’« une identité non transmise se dilue dans les sillages de l’exil ». Son propos résonne avec l’urgence ressentie par de nombreux Afrodescendants nés en Europe : renouer avec des racines parfois fragmentées par l’histoire coloniale et les mobilités contemporaines. Les stands d’artisanat, les saynètes en lingala et les ateliers de danse traditionnelle répondaient à cette quête, offrant un savoir-faire qui dépasse le simple entertainment. L’UNESCO place d’ailleurs la rumba congolaise au patrimoine immatériel de l’humanité depuis 2021, symbole d’une créativité capable de fédérer sur plusieurs continents.
Diplomatie culturelle et cohésion nationale : un tandem stratégique
À la faveur des mutations géopolitiques, de nombreux gouvernements perçoivent la diaspora comme un levier de soft power. Brazzaville n’échappe pas à cette dynamique. Le discours d’ouverture de M. Ewangui, soulignant « la haute attention que le président Denis Sassou Nguesso porte à l’implication de ses compatriotes de l’extérieur », s’inscrit dans une stratégie de rayonnement déjà perceptible lors des Semaines du Congo organisées à Dubaï ou Rabat ces dernières années. Conjuguant culture, investissement et solidarité, cette vision répond à la doctrine prônée par Joseph Nye : inciter plutôt que contraindre, séduire plutôt qu’imposer. Dans le cas congolais, la musique, la gastronomie et la littérature deviennent les vecteurs d’un récit national positif, susceptible de contrebalancer les images souvent réductrices véhiculées par certains médias occidentaux.
Un acteur structurant : le Haut-conseil représentatif des Congolais de l’étranger
Fondé en 2019 mais opérationnel depuis 2023, le HCRCE entend dépasser le registre purement culturel. Son mandat couvre aussi bien la mobilisation des remises diasporiques que la promotion d’expertises scientifiques, dans une logique de co-développement. Interrogé à Paris, l’économiste Alphonse Mavoungou estime que « la diaspora congolaise transfère annuellement l’équivalent de 3 % du PIB national : un flux qu’il faut structurer pour qu’il substitue l’aide publique au développement par un partenariat mutuellement bénéfique ». L’option d’instituer des « diaspora bonds » est, selon nos informations, à l’étude au ministère de l’Économie et du Plan. De même, des passerelles universitaires devraient être renforcées entre l’université Marien Ngouabi et plusieurs écoles d’ingénieurs françaises, afin de faciliter la circulation des compétences.
Perspectives d’amplification et de rayonnement
Si le succès populaire de cette journée ne fait guère débat, certains participants, à l’image de la sociologue Mireille Ikounga, plaident pour une inclusion accrue des petites associations de quartier. Une telle ouverture, loin de fragiliser la cohérence du HCRCE, pourrait élargir son audience et accroître l’impact d’initiatives telles que les bourses de stage « Mboté ». Surtout, l’ancrage parisien n’est qu’une étape : l’ambassade prévoit de décliner ce format à Bruxelles, Montréal puis Tokyo, traduisant la volonté de globaliser un patrimoine longtemps cantonné aux rives du fleuve Congo. « Notre culture est une pirogue », souriait un sculpteur venu de Vitry-sur-Seine ; « elle avance parce que chacun y met son rame ». À l’heure où les États mesurent l’influence en hashtags et en grand-écart diplomatique, la pirogue congolaise navigue désormais sur la Seine avec sérénité, portée par une diaspora qui transforme la nostalgie en projet collectif.