Paris, carrefour diplomatique du sous-sol africain
Il aura suffi de quarante-huit heures au cœur de La Défense pour rappeler que l’avenir industriel de l’Afrique se joue autant dans les salles feutrées des conférences internationales que dans les galeries souterraines. Organisé début juillet, le Mining On Top Africa (MOTA) a réuni 180 participants venus de vingt-quatre pays, dont quatre délégations ministérielles, pour débattre d’un thème aussi ambitieux que stratégique : « Partenariat pour la Prospérité ». L’objectif affiché par les organisateurs d’AME Trade était limpide : préparer la mutation d’un modèle d’exportation brute vers un modèle de transformation locale créateur de valeur et d’emplois qualifiés.
À la tribune, la diversité des accents – de Conakry à Nouakchott, de Kinshasa à Dakar – traduisait la densité diplomatique du moment. Les ministres présents ont souligné, d’une même voix, l’urgence d’une « architecture contractuelle apaisée » entre États propriétaires de ressources et compagnies détentrices de capitaux. Comme l’a résumé Talibouya Diagne, directeur Afrique de l’Ouest d’AME Trade, « le MOTA est d’abord un espace de franchise : il met à nu les attentes, les crispations et les convergences possibles ».
Vers une nouvelle grammaire contractuelle
La table ronde ministérielle du 2 juillet a cristallisé les enjeux. Le Guinéen Mohamed Lamine Sy Savane a exhorté le continent à « se regarder dans le miroir et choisir son destin », rejoignant la position du Sénégalais Ibrahima Gassama qui plaide pour que « la valeur ajoutée reste, avant tout, sur la terre qui abrite le gisement ». Sous la modération de Jean-Claude Guillaneau du BRGM, ces responsables ont convergé sur la nécessité d’un cadre juridique stable, lisible et suffisamment harmonisé pour rassurer les investisseurs tout en protégeant les intérêts nationaux.
Dans les couloirs, plusieurs représentants de groupes miniers reconnaissaient que les clauses de contenu local ou de partage accru des bénéfices sont désormais intégrées dans leurs feuilles de route. « Nous ne pouvons plus penser le partenariat selon les modèles des années 1990 », glissait un dirigeant ouest-africain d’AMIQ, conscient que la compétition mondiale autour du lithium, du cuivre ou du cobalt impose une nouvelle grammaire contractuelle.
L’indispensable mue ESG
L’acronyme ESG – critères environnementaux, sociaux et de gouvernance – est devenu omniprésent. Les experts d’Affectio Mutandi, d’IRMA ou d’IAMGOLD ont rappelé qu’une conformité robuste aux standards internationaux conditionne l’accès aux grandes lignes de financement. Présentant son modèle burkinabè, IAMGOLD a martelé qu’« à l’ère du capital conscient, l’acceptabilité sociale est la nouvelle licence d’opérer ».
Cette exigence dépasse le simple contrôle des émissions. Elle implique des consultations communautaires, des mécanismes de compensation crédibles et des rapports publics vérifiables. Les agences nationales ivoirienne (SODEMI), guinéenne (SOGUIPAMI) et congolaise (CTCPM) ont chacune exposé leurs avancées en matière de cartographie des données, de transparence dans l’octroi des permis et d’audits participatifs. L’objectif commun : installer la confiance, préalable à toute montée en gamme industrielle.
Chaînes de valeur et souverainetés partagées
Le débat sur la transformation locale a montré qu’il ne s’agit plus d’un slogan politique, mais d’une condition de compétitivité. Les analystes rappellent que le coût logistique des exportations de concentrés bruts, additionné aux taxes imposées par les pays importateurs, peut représenter jusqu’à 20 % de la valeur finale d’un produit raffiné. La construction d’unités de broyage, de fonderies ou de cathode factories sur le continent apparaît donc comme un choix rationnel.
Yves Bawa, à la tête du cabinet Kumbuka Africa, a souligné la corrélation forte entre ancrage territorial et stabilité des opérations : « Former et financer les PME locales, c’est réduire les frictions sociales et sécuriser la chaîne d’approvisionnement ». De son côté, Frontier Rare Earths estime que la mutualisation régionale – corridors ferroviaires, hubs énergétiques – est la clé pour dépasser la fragmentation des marchés nationaux.
Congo-Brazzaville, un positionnement pragmatique
Si la délégation congolaise n’était pas officiellement à la tribune, nombre d’observateurs voyaient dans les échanges des pistes directement transposables à Brazzaville. Depuis l’adoption récente du Code minier révisé, le gouvernement du président Denis Sassou Nguesso mise sur la diversification économique et la montée en compétences locales pour consolider sa résilience macroéconomique. Les conversations informelles ont confirmé l’intérêt d’acteurs comme Marula Mining pour les potentialités encore sous-explorées du Niari et de la Sangha.
Les analystes notent que la stabilité institutionnelle du Congo, conjuguée à une volonté affichée de sécuriser les contrats via un guichet unique, offre un terrain propice aux joint-ventures équilibrées. « Le pays entend s’inscrire dans la dynamique continentale de transformation en aval, tout en restant attractif pour les investisseurs », résume un diplomate présent au forum. Cette approche pragmatique, jugée conforme à l’esprit de MOTA, pourrait servir de modèle de compromis entre souveraineté économique et exigences de rentabilité.
Des signaux forts mais un agenda chargé
À l’issue des sept sessions thématiques – cadastre numérique, financement mixte, partenariats public-privé pour les infrastructures –, un sentiment de réalisme lucide dominait. Les réformes s’annoncent techniques, parfois coûteuses, mais elles constituent la condition sine qua non d’un nouveau pacte minier africain. Les appels à l’action formulés à Paris insistent sur la coordination entre États, banques de développement et opérateurs privés.
En filigrane, un consensus se dessine : l’heure n’est plus à l’extraction opportuniste mais à la construction d’écosystèmes industriels durables. Pour Brazzaville comme pour ses voisins, l’enjeu est d’ériger la mine en catalyseur de politiques publiques intégrées, capables de financer l’éducation, la santé et les infrastructures sans compromettre l’équilibre environnemental. Le MOTA 2025 aura ainsi posé une balise claire : la prochaine décennie jugera les gouvernements à leur capacité à transformer la ressource minérale en prospérité inclusive.