Héritage d’un chef coutumier et enjeux contemporains
Dans le village d’Oubouessé, à quinze kilomètres au nord de Mossendjo, la mémoire du patriarche Joseph Nzila Lipouma, disparu en 1980, a mobilisé fin août une foule bigarrée de descendants, de notables et d’observateurs intrigués par la portée politique de cet hommage patrimonial.
Le chef des terres Piolé, illettré mais visionnaire, gérait autrefois un espace frontalier sensible, de Moumbelo à Mbinda, où cohabitaient Tsangui, Punu et Nzébi. Son sens aigu de l’équité demeure cité comme référence par les autorités administratives actuelles du département du Niari.
Quarante-cinq ans après sa disparition, la question n’est plus seulement mémorielle. Le culte rendu à sa tombe rénovée interroge les mécanismes par lesquels la gouvernance nationale s’appuie sur les chefferies traditionnelles pour préserver la paix sociale, faciliter la médiation foncière et consolider l’unité territoriale.
Retrouvailles familiales : cohésion sociale en action
Convaincus que l’harmonie commence par la parenté, plus de deux cents membres de la lignée Nzila ont rallié Oubouessé depuis Brazzaville, Pointe-Noire, l’Europe ou les États-Unis. Les retrouvailles, soutenues logistiquement par la mairie de Mossendjo, ont illustré la circulation transnationale des élites congolaises.
Autour de la dalle fraîchement posée, anecdotes et chants se sont succédé. Selon le professeur Jean de Dieu Bolzer Nzila, deuxième fils du patriarche, l’objectif était « d’enseigner aux plus jeunes la discipline et l’ouverture culturelle » qui guidaient autrefois la gestion des terres Piolé.
Les historiens locaux relèvent qu’en consolidant leurs liens, les descendants renforcent également les réseaux de solidarité économique indispensables au désenclavement de la sous-préfecture. Des projets agropastoraux ont été évoqués, dans le sillage du Plan national de développement 2022-2026 porté par Brazzaville.
Justice traditionnelle et gouvernance locale
Le patriarche Nzila administrait la justice sous un grand fromager devenu lieu de pèlerinage. Ses décisions, consignées oralement, fondaient un droit coutumier pragmatique où réparation importait davantage que punition. Ce modèle inspire encore les conciliations rurales menées par les chefs de quartiers.
Au-delà de la nostalgie, plusieurs magistrats présents ont souligné la complémentarité entre tribunaux d’État et médiations coutumières. « La proximité sociale réduit le risque de conflits latents », observe une juge du siège de Dolisie, rappelant l’appel gouvernemental à privilégier les solutions endogènes.
Le ministère de la Décentralisation envisage d’ailleurs de former des assesseurs issus des chefferies pour accompagner les audiences foraines. Pour les habitants, cet arrimage institutionnel conforte l’idée que l’État reconnaît la légitimité morale des chefs traditionnels sans renoncer à l’exigence républicaine d’égalité.
Entre frontières : un territoire stratégique du Niari
Les terres Piolé jouxtent le Gabon et la République démocratique du Congo, formant un corridor forestier où circulent cacao, bois d’œuvre et main-d’œuvre. Sous Nzila, une tenue kaki offerte par un parent gendarme gabonais symbolisait déjà cette porosité frontalière devenue cruciale aujourd’hui.
Le climat de confiance hérité du patriarche facilite encore les patrouilles mixtes de l’opération Concertation, menée par les forces de l’ordre pour lutter contre le braconnage transfrontalier. Les autorités provinciales soulignent que l’appui des communautés est déterminant pour sécuriser les itinéraires commerciaux.
En marge des célébrations, la direction départementale du Tourisme a présenté un projet de route culturelle reliant Mossendjo à Mbinda via Oubouessé. La figure de Nzila serait au cœur d’une offre éco-muséale susceptible d’attirer chercheurs, diplomates et investisseurs intéressés par le bassin du Niari.
Leçons pour la diplomatie et la politique nationale
L’hommage rendu à Nzila Lipouma dépasse l’émotion familiale; il rappelle que la diplomatie congolaise valorise depuis plusieurs années l’interculturalité comme ressource. En faisant rayonner leurs traditions, les collectivités locales projettent une image de stabilité qui consolide la position du Congo dans les enceintes multilatérales.
Brazzaville a souvent souligné, lors de forums de l’Union africaine, le rôle des chefs pour prévenir les crises identitaires. La rénovation de la tombe du patriarche constitue ainsi un geste complémentaire au Plan national de réconciliation et s’inscrit dans la lignée du Dialogue inclusif.
Pour les diplomates stationnés à Kinshasa ou à Libreville, l’événement fournit un indicateur sur la résilience des structures communautaires congolaises face aux mutations. S’y intéresser, affirment-ils, permet aussi de comprendre les modes locaux d’adhésion aux grands projets d’intégration régionale.
Les partenaires internationaux engagés dans le programme FONAREDD soulignent également que l’implication des chefs est déterminante pour atteindre les objectifs climatiques. La gestion coutumière des forêts Piolé, marquée par le tabou de l’arbre sacré, constitue un précédent encourageant pour les négociations carbone.
Les universitaires présents ont, pour leur part, insisté sur la nécessité d’archiver les archives orales avant qu’elles ne se perdent. La commission nationale du patrimoine étudie une collecte numérique pilotée par l’Université Marien Ngouabi, signe d’un dialogue fécond entre science et mémoire.
À Oubouessé, le coucher du soleil sur la pierre tombale flambant neuve a scellé une semaine de célébrations. La famille est repartie convaincue que la figure du chef Nzila reste un levier de cohésion, de développement et d’ouverture pour le Congo contemporain.