Ce qu’il faut retenir
Au terme de quatre jours de débats à Kintélé, les ministres et décideurs du continent ont scellé la Déclaration de Brazzaville, feuille de route destinée à faire du contenu local le moteur de la valeur ajoutée africaine dans l’industrie pétrolière et gazière.
Portée par le ministère congolais des Hydrocarbures et l’Organisation des producteurs de pétrole africains, la conférence ambitionne d’aligner les politiques nationales, d’ouvrir le financement aux PME locales et de rapprocher fournisseurs publics et privés autour d’exigences sociales, environnementales et technologiques désormais partagées sur tout le continent.
L’élan de Brazzaville pour le contenu local
Sous la houlette du ministre Bruno Jean Richard Itoua, les délégations de dix-neuf États ont comparé leurs cadres juridiques, évalué les success stories nigériane ou ghanéenne et identifié les obstacles encore présents dans les marchés d’ingénierie, de logistique sous-marine et de services de forage.
La République du Congo, producteur proche de 300 000 barils par jour, mise sur cet événement pour attirer des capitaux mais surtout pour ancrer durablement la transformation locale des métaux, la fabrication de pièces et la montée en compétence de milliers de jeunes techniciens nationaux.
Contexte: l’industrie pétrolière africaine
Si le continent assure encore seulement dix pour cent de la production mondiale de brut, il dépense chaque année plusieurs dizaines de milliards de dollars en importation de services, d’équipements et d’expertise, laissant filer une ressource financière indispensable à la diversification économique africaine à venir.
Avec la transition énergétique, les majors réduisent leurs investissements conventionnels, accentuant la nécessité pour les États d’optimiser chaque baril extrait par un contenu local crédible, susceptible de protéger l’emploi, de soutenir les recettes fiscales et de préparer l’après-pétrole dans un horizon plus proche qu’on imagine.
Des chiffres qui parlent
Les couloirs du Centre de conférences de Kintélé ont accueilli 1 276 délégués, 84 orateurs et 350 visiteurs quotidiens, signe d’un intérêt croissant au-delà du cercle pétrolier traditionnel et d’une volonté d’impliquer universités, incubateurs et collectivités dans la chaîne de valeur du brut africain émergent.
Quarante-cinq stands ont mis en avant des solutions allant de la fibre optique aux logiciels de surveillance des torchères, prouvant que l’innovation n’est plus l’apanage des fournisseurs étrangers et que l’écosystème local est prêt à répondre aux standards internationaux de sécurité et de traçabilité exigeants.
Scénarios de création de valeur
Dès 2026, la présidence ivoirienne de l’APPO entend élaborer une plateforme d’achat continental où les compagnies listeront leurs besoins afin que les PME africaines puissent candidater en temps réel, réduisant les délais logistiques et améliorant la part domestique dans les contrats de développement des blocs.
D’autres projections, discutées à Brazzaville, misent sur un fonds de garantie régional qui couvrirait jusqu’à vingt pour cent du risque, encourageant ainsi les banques commerciales à financer des installations de soudure, des unités de valves ou des centres de certification aux normes ISO exigées globalement.
Le point juridique/éco
Pour l’instant, moins de la moitié des membres de l’APPO disposent d’une loi spécifique sur le contenu local, ce qui freine l’harmonisation. Les participants ont proposé un référentiel commun inspiré des textes congolais et nigérians, assorti d’objectifs progressifs calibrés selon le niveau industriel national actuel.
Un groupe technique suivra chaque trimestre la mise en application et publiera un tableau de bord accessible au public, gage de transparence. L’idée, insiste une conseillère de la Commission de l’Union africaine, est de “créer de la confiance pour attirer davantage de joint-ventures responsables” panafricaines.
Témoignages de terrain
Marcel Ngoma, directeur d’une start-up de services géologiques à Pointe-Noire, affirme avoir signé trois protocoles d’accord grâce à l’événement. Selon lui, la visibilité offerte par les stands conjuguée aux rencontres B2B “ouvre des portes jusque-là réservées aux grandes multinationales” et stimule l’emploi local qualifié durable.
Du côté des majors, TotalEnergies Congo évoque déjà la possibilité d’approvisionner son prochain projet offshore en câbles assemblés localement. “La difficulté n’est plus la compétence, mais la capacité de production”, reconnaît un cadre, convaincu que des commandes fermes déclencheront des économies d’échelle rapides au Congo.
Et après ?
Le nouveau secrétaire général algérien de l’APPO, attendu en janvier, devra piloter la mise en musique de la Déclaration de Brazzaville. Son mandat prévoit un reporting annuel et l’activation d’un guichet unique destiné à mutualiser données techniques, formations et appuis financiers à travers le continent.
Bruno Jean Richard Itoua, hôte de la conférence, juge la dynamique irréversible. Il assure qu’en 2030, la part africaine dans les activités parapétrolières pourrait dépasser cinquante pour cent si chaque État traduit rapidement les engagements en budgets, en formations et en appels d’offres réservés nationaux.
Les experts climat invités ont rappelé que le contenu local peut aussi accélérer la décarbonation. Utiliser des matériaux produits à proximité réduit l’empreinte transport, tandis que la fabrication sur place de capteurs de méthane permet des interventions plus rapides pour limiter les fuites et générer des crédits carbone.
Au-delà du pétrole, plusieurs délégations ont convenu d’étendre la logique de contenu local aux énergies renouvelables et à l’hydrogène vert, conscients que l’expertise acquise dans l’offshore sera précieuse pour installer demain des parcs éoliens flottants, des pipelines d’ammoniac et des hubs de données bas-carbone africains.
