Le poids historique de l’or noir et l’urgence de diversifier
Avec près des deux tiers de ses recettes budgétaires provenant du brut, le Congo-Brazzaville reste l’un des mastodontes énergétiques du Golfe de Guinée. Cette rente a permis des investissements structurants, mais elle expose également l’économie aux soubresauts des marchés internationaux. La pandémie de Covid-19, puis les fluctuations post-2020 ont rappelé à Brazzaville que la volatilité du baril se traduit mécaniquement par une volatilité sociale. Selon la Banque mondiale, la contraction de 7,9 % du PIB en 2020 est en grande partie imputable au choc pétrolier. Dans un entretien accordé à la presse régionale, un cadre du ministère des Finances admettait récemment que « la soutenabilité budgétaire commande aujourd’hui de penser un modèle plus diversifié, plus résilient et mieux aligné sur les enjeux climatiques ».
La table ronde PapCo : un laboratoire d’idées pluriel
C’est dans ce contexte qu’a été ouverte, le 10 juillet à Brazzaville, la table ronde nationale consultative organisée par la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme. L’événement, point d’orgue de la première phase du projet « Préparer l’après au Congo » (PapCo), réunit administrations, parlementaires, ONG, organisations patronales et partenaires techniques. Objectif affiché : produire une ‘pré-feuille de route’ consensuelle, assortie de priorités sectorielles et de principes de gouvernance. Les débats, modérés par des universitaires, croisent diagnostics macro-économiques et attentes communautaires. Le directeur exécutif de la RPDH, Trésor Nzila, a souligné en séance d’ouverture « l’impératif d’une transition juste, qui ne laisse aucune zone rurale ni aucun métier sur le bord du chemin ».
L’État congolais, pivot d’une gouvernance partenariale
Si PapCo offre une plate-forme de dialogue, la réussite de l’après-pétrole nécessite un pilotage étatique fort. Les autorités congolaises l’ont d’ailleurs rappelé à plusieurs reprises, réaffirmant leur volonté d’accroître la production à court terme, tout en préparant le long terme. Cette stratégie duale, qualifiée de « pragmatique » par un conseiller à la Présidence, vise à capter encore des revenus pétroliers pour financer les investissements de conversion. La coopération nouée avec TotalEnergies s’inscrit dans cette vision graduelle : accélérer certains gisements offshore, mais exiger un transfert technologique vers le solaire et le gaz naturel liquéfié, moins émissifs. Le gouvernement peut également s’appuyer sur la récente loi portant promotion des partenariats public-privé, conçue pour sécuriser les investisseurs et répartir les risques.
Agriculture, forêt, numérique : trois piliers pressentis
La diversification ne se décrète pas, elle se construit. Sur la base des échanges de la table ronde, trois secteurs émergent. D’abord l’agriculture, encore sous-mécanisée malgré un potentiel de 10 millions d’hectares arables. Un programme de corridors agro-industriels, piloté avec la Banque africaine de développement, vise à réduire la facture alimentaire de deux milliards de dollars et à créer 200 000 emplois d’ici 2030. Ensuite, la filière bois, atout historique du bassin du Congo : la certification FSC et l’essor du marché carbone accroissent sa valeur ajoutée, à condition de lutter efficacement contre l’exploitation illégale. Enfin, l’économie numérique séduit les jeunes citadins. La mise en service en 2024 du backbone fibre optique Pointe-Noire/Ouesso ouvre une fenêtre pour l’externalisation de services et les fintech régionales. « Nous voulons passer du pétrole de roche au pétrole de données », résume un entrepreneur incubé au Congo Digital Hub.
Finance climatique et diplomatie énergétique
La transition congolaise s’inscrit dans une architecture internationale mouvante. PapCo bénéficie déjà d’un soutien financier de Rockefeller Philanthropy Advisors et d’un appui technique de l’Energy Transition Fund. D’autres bailleurs, tels que le Fonds vert pour le climat, pourraient intervenir si Brazzaville affine ses instruments de transparence. Au plan diplomatique, le Congo consolide son rôle de négociateur forestier, rappelé lors du One Forest Summit de Libreville. Cette posture offre des marges de manœuvre pour conditionner l’accès au marché carbone à une réinjection des recettes dans les infrastructures rurales, gage d’acceptabilité sociale.
Une feuille de route évolutive, mais déjà structurée
À l’issue des deux jours de travaux, les parties prenantes ont validé le principe d’un comité de suivi associant ministères sectoriels, organisations professionnelles et représentants des communautés locales. Parmi les jalons retenus figurent l’élaboration, sous six mois, d’un tableau de bord des indicateurs de diversification et la tenue, chaque semestre, d’un forum public-privé sur l’état d’avancement. Le calendrier, qui s’insère dans le Plan national de développement 2022-2026, demeure souple afin d’intégrer d’éventuelles évolutions macro-économiques. Comme le formule sobrement un diplomate de l’Union africaine présent à Brazzaville, « la crédibilité d’une telle transition se mesure moins à l’élégance des plans qu’à leur exécution graduelle ».