Un levier stratégique pour la scène congolaise
Dans un contexte où la diversification économique s’accompagne d’une montée en puissance du secteur créatif, l’Institut français du Congo (IFC) de Pointe-Noire ouvre, jusqu’au 31 août, un appel à projets destiné aux compagnies de théâtre, de danse et de performance. L’accent mis sur l’hybridation entre arts de la scène et technologies numériques n’est pas anodin : il répond à la demande croissante d’œuvres interactives et immersives, tout en célébrant la vitalité des esthétiques locales. « Le numérique ne remplace pas le corps ; il l’augmente, il le prolonge », insiste un conseiller artistique de l’IFC lors d’un échange informel.
Cette initiative s’inscrit dans la dynamique encouragée par le Plan national de développement, qui reconnaît la culture comme vecteur de soft power et d’emplois qualifiés. Les autorités congolaises, soucieuses de soutenir la modernisation de l’économie, voient dans la professionnalisation des créateurs un atout pour la diversification des revenus, l’attractivité touristique et la cohésion sociale.
La convergence arts vivants-numérique, enjeu d’influence culturelle
Depuis plusieurs années, l’IFC fédère autour de son festival Novembre Numérique un écosystème d’artistes, de start-up et d’acteurs éducatifs. L’appel actuel prolonge cet élan en invitant les candidats à intégrer dans leur dossier une dimension technologique : mapping vidéo, réalité augmentée, codage créatif ou dispositifs interactifs. Ce virage répond non seulement aux attentes d’un public jeune et connecté, mais aussi aux standards internationaux où la scène s’inspire volontiers des laboratoires de réalité virtuelle ou des studios de jeux vidéo.
Pour le chorégraphe Rodrigue Mvouba, la convergence offre « une opportunité rare de dialoguer d’égal à égal avec les scènes européennes », tandis que la metteuse en scène Nadège Bouetou voit dans le numérique « un outil d’archivage et de transmission qui dépasse les frontières physiques » (Entretien, Pointe-Noire, juillet 2024). Les alliances que l’IFC favorise avec les instituts Goethe ou Cervantes de la région pourraient à terme multiplier les coproductions, consolidant ainsi l’influence culturelle congolaise en Afrique centrale.
Des critères de sélection conçus pour professionnaliser le secteur
Le dossier exigé – présentation de la structure, démarche artistique, budget prévisionnel, pièces administratives telles que NIU et RIB – témoigne d’une volonté de hisser les compagnies au rang d’acteurs économiques viables. Cette rigueur comptable, jugée parfois intimidante, répond pourtant à une logique de durabilité. L’IFC précise qu’un accompagnement en ingénierie de projet sera proposé aux lauréats afin de consolider leurs capacités de gestion.
Selon la responsable du pôle spectacle vivant de l’Institut, « la qualité dramaturgique compte autant que la faisabilité financière ». Ce positionnement permet de préparer les compagnies locales aux critères des bailleurs internationaux – Union européenne, Organisation internationale de la Francophonie – tout en valorisant la créativité intrinsèque du pays. Les dossiers sélectionnés bénéficieront d’une résidence d’écriture ou de répétition, suivie d’une présentation publique courant 2025.
IFC et diplomatie culturelle : un soft power assumé
Le soutien aux arts vivants s’inscrit dans une logique de diplomatie culturelle où l’image du Congo-Brazzaville se construit aussi par la mise en avant de ses talents. Les autorités nationales trouvent dans l’IFC un partenaire complémentaire, capable de relayer, auprès d’un réseau de 98 antennes françaises en Afrique, la créativité des jeunes générations. L’écrivaine et commissaire d’exposition Yvonne Ngouabi note qu’« investir dans les arts, c’est investir dans la réputation du pays » (Rencontre littéraire, Brazzaville, mai 2024).
Le positionnement non confrontational des projets, couplé à leur potentiel d’innovation, contribue à forger un récit national positif : celui d’un Congo ouvert, résilient, capable de se projeter dans la modernité sans renier ses racines. Cette narration, relayée par les médias internationaux et les missions diplomatiques en poste, renforce l’attractivité du marché congolais pour les investisseurs culturels régionaux.
Regards d’artistes et perspectives régionales
Déjà, les studios d’enregistrement de Pointe-Noire voient affluer des créateurs désireux de tester des dispositifs de captation volumétrique ou d’algorithmie musicale. L’émergence d’écosystèmes voisins, à Luanda ou Kinshasa, incite à la coopération transfrontalière et à la circulation des œuvres. Un consensus se dessine chez les professionnels : la pluralité linguistique, la richesse des cosmogonies locales et la maîtrise des outils numériques pourraient conférer à la Région du Golfe de Guinée un langage scénique singulier.
À moyen terme, la consolidation d’un marché régional passera par la mutualisation des ressources, la formalisation de circuits de diffusion et l’accès à des formations de pointe. L’appel à projets de l’IFC, en catalysant ces dynamiques, s’avère plus qu’un événement ponctuel : il annonce une stratégie à long terme, alignée sur les ambitions nationales de développement et sur les orientations de la Francophonie numérique.
Les candidatures sont attendues à candidature.pointenoire@ifcongo.com, mention « Spectacle Vivant-Rentrée 2025 ». Aux dires d’une directrice de compagnie, « cette échéance agit comme un aiguillon créatif ». Au-delà de la date butoir, la scène congolaise semble bel et bien engagée sur la voie d’une renaissance où le pixel et le geste chorégraphique fusionnent pour raconter une modernité authentiquement africaine.
