Une dynamique d’aménagement structurante
L’annonce par le ministère camerounais des Travaux publics d’un programme de construction de onze ponts métalliques s’inscrit dans une volonté de densifier le maillage routier national. Les axes concernés traversent l’Adamaoua, le Centre, l’Est, le Nord et l’Ouest, régions dont le potentiel agro-pastoral et minier demeure sous-exploité en raison de coupures physiques. À l’heure où Yaoundé ambitionne de hisser le pays au rang de pôle logistique de la sous-région, la création d’artères permanentes sur des cours d’eau capricieux répond à une logique d’intégration économique et sociale.
Un financement étalé sur trois exercices budgétaires
Le coût global de 18,98 milliards de FCFA, soit près de 33,3 millions de dollars, sera prélevé sur le budget d’investissement public des exercices 2025, 2026 et 2027. Selon la ventilation communiquée, chaque exercice absorbera environ un tiers de la dépense, assurant une traction financière soutenable pour le Trésor tout en garantissant la continuité du chantier. Cette architecture budgétaire, prônée par la direction générale du Budget, offre une visibilité précieuse aux entreprises adjudicataires, appelées à mobiliser du matériel importé en flux tendu.
La stratégie des ponts métalliques : choix technique assumé
Le recours à des structures métalliques modulaires, inspirées du système bailey, répond à un double impératif. Sur le plan technique, ces ouvrages se montent rapidement, résistent aux crues soudaines et se prêtent à des portées intermédiaires que l’on rencontre fréquemment sur les rivières camerounaises. Sur le plan économique, la préfabrication hors site réduit les délais de coulée et de cure, limitant l’immobilisation du trafic. Le ministère souligne en outre la possibilité de démonter et de réinstaller certaines travées pour accompagner l’évolution des besoins, avantage stratégique dans un contexte d’urbanisation rapide.
Retombées économiques sur les régions traversées
Au-delà de l’image d’Épinal du pont reliant deux rives, le programme devrait abaisser le coût du transport agricole de près de 15 % selon les projections de la Chambre de commerce. L’Adamaoua, grenier bovin du pays, pourra écouler ses bovins vers les abattoirs du Littoral sans les pertes liées au franchissement de gués saisonniers. L’Est, riche en forêts d’essences précieuses, table sur une hausse des expéditions légales via le corridor douanier de Bertoua. Quant à l’Ouest, pôle industriel naissant, il voit dans ce réseau la clef d’un approvisionnement régulier en intrants manufacturiers.
Gouvernance et transparence : le test de la commande publique
Le chantier devrait être découpé en lots afin de stimuler la concurrence entre entreprises nationales et partenaires internationaux. Les autorités promettent une procédure ouverte, assortie d’outils numériques pour le suivi en temps réel des décaissements. « Nous voulons faire de ces ouvrages un laboratoire de bonne gouvernance », confie un haut fonctionnaire du ministère des Finances. Les observateurs estiment toutefois que la réussite dépendra du respect des délais de 18 mois annoncés et de la maîtrise des variations de change, l’acier étant libellé en devises fortes.
Résonances régionales et coopération avec le Congo voisin
L’intensification des liaisons intérieures camerounaises résonne positivement chez les voisins, au premier rang desquels la République du Congo, engagée depuis plusieurs années dans une modernisation méticuleuse de son propre réseau routier. Brazzaville y voit une occasion de fluidifier les corridors Pointe-Noire-Douala et Ouesso-Bertoua, au cœur des initiatives d’intégration économique de la CEMAC. Des diplomates congolais saluent déjà « un pas supplémentaire vers la libre circulation des biens et des personnes, pierre angulaire de la stabilité régionale ». Cette convergence d’intérêts, exempte de rivalité, conforte la doctrine de la diplomatie pragmatique défendue par le président Denis Sassou Nguesso, qui prône la coopération infrastructurelle comme levier de paix durable.
De l’acier à la cohésion nationale
À terme, les ponts d’acier ne seront pas seulement des artefacts d’ingénierie. Ils incarneront la promesse d’une circulation accrue des idées, des cultures et des opportunités. En redessinant la carte des temps de parcours, le Cameroun envoie un signal de confiance à sa jeunesse entrepreneuriale et à ses partenaires internationaux. La solidité des choix financiers et techniques constituera toutefois le juge de paix de l’opération ; mais si le calendrier est respecté, les prochaines saisons des pluies verront plus de marchandises franchir les rivières que de difficultés, donnant corps à la maxime : l’acier soude les territoires autant qu’il soutient les charges.