Un ancien chef d’État devant le prétoire militaire
À dix heures vingt, heure de Kinshasa, la salle d’audience du tribunal militaire de Gombe s’est remplie d’une tension feutrée que même les rideaux grenat ne parvenaient pas à estomper. En jeu, rien de moins que le destin judiciaire de Joseph Kabila, 54 ans, président de la République démocratique du Congo de 2001 à 2019 et désormais poursuivi pour trahison, crimes de guerre et crimes contre la paix. Absent physiquement – l’intéressé a quitté le territoire en 2023 –, l’ex-chef de l’État est jugé in absentia, un cadre procédural permis par le code de justice militaire congolais dès lors qu’il s’agit de faits considérés comme flagrants ou imprescriptibles. Le parquet soutient que l’ancien président aurait encouragé, financé et conseillé le mouvement rebelle M23, actif dans les provinces de Nord et Sud-Kivu.
Des chefs d’accusation lourds au regard du droit congolais
Le réquisitoire lu par l’avocat général évoque la « participation à un mouvement insurrectionnel », l’« homicide », la « torture » et le « viol » commis par des forces sous le contrôle supposé de l’accusé. Dans le système congolais, la qualification de trahison peut entraîner la peine capitale bien que, depuis la levée du moratoire en 2023, aucune exécution n’ait été pratiquée. Conscients de la portée politique de l’affaire, les magistrats ont insisté sur la nécessité d’un débat contradictoire. Les conseils de l’ancien président, restés silencieux sur sa localisation exacte, ont dénoncé « une instrumentalisation » de la justice et invoquent son statut de sénateur à vie, bien que cette immunité ait été levée par le Sénat en séance plénière, conformément à la Constitution.
Le M23, enjeu sécuritaire et diplomatique
Né en 2012, le Mouvement du 23-mars a ressurgi en 2021, s’emparant de vastes territoires à la frontière rwandaise et occupant brièvement la ville stratégique de Goma. Les Nations unies estiment que l’appui logistique et opérationnel de Kigali a été « déterminant » dans la capacité militaire du groupe, ce que les autorités rwandaises réfutent. Selon l’acte d’accusation, Joseph Kabila aurait agi comme « l’un des initiateurs de l’Alliance du fleuve Congo », branche politique du M23, dans la perspective de renverser le président Félix Tshisekedi. Les procureurs soutiennent que l’ancien chef d’État aurait profité de ses réseaux sécuritaires pour faciliter l’arrivée d’armements dans le corridor Rutsuru-Bunagana, pourtant placé sous embargo partiel par le Conseil de sécurité.
Répercussions régionales et posture de Brazzaville
Les capitales d’Afrique centrale suivent l’affaire avec une attention méticuleuse, conscientes qu’un précédent judiciaire visant un ancien chef d’État peut influencer les pratiques de gouvernance régionales. À Brazzaville, la diplomatie congolaise (Congo-Brazzaville) rappelle son attachement historique au dialogue et à la stabilité sous l’autorité du président Denis Sassou Nguesso, dont la médiation a souvent été sollicitée dans les crises régionales. Un haut fonctionnaire du ministère congolais des Affaires étrangères confie que « la paix dans l’espace CEEAC demeure une priorité cardinale, et toute initiative judiciaire doit s’inscrire dans le respect des procédures afin de ne pas précipiter de nouveaux foyers de tension ».
Tshisekedi, Kabila et l’équilibre des pouvoirs
En interne, le procès s’inscrit dans un contexte électoral bouillonnant où le président Tshisekedi entend consolider son pouvoir. Les observateurs notent que la dissolution de l’alliance ancienne entre Kabila et certaines élites militaires a libéré des loyautés jusque‐là silencieuses. Pour le constitutionnaliste Mbuyu Kalombo, « la justice militaire tente d’affirmer son indépendance, mais elle agit dans un milieu où le politique et le sécuritaire restent imbriqués ». D’anciens dignitaires du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie estiment pour leur part que le procès vise à « neutraliser » une figure encore influente dans certaines provinces.
Scénarios d’issue et interrogations géopolitiques
S’il était reconnu coupable, Joseph Kabila encourrait théoriquement la peine de mort, peine qui, bien que prévue par la loi, demeure suspendue de facto. Un verdict de culpabilité forcerait la communauté internationale à clarifier sa position sur l’extradition, tandis qu’un acquittement, improbable selon les analystes, redessinerait la carte des alliances. Des chancelleries occidentales évoquent déjà l’hypothèse d’un mandat d’arrêt international adressé à Interpol. À l’inverse, plusieurs États d’Afrique australe privilégient la médiation plutôt qu’un procès purement punitif, arguant que la réconciliation passe par un dialogue inclusif. Dans ce concert, la voix mesurée de Brazzaville, prônant un règlement conforme au droit tout en évitant l’escalade, illustre le rôle pondérateur que le Congo-Brazzaville continue de jouer au sein de la sous-région.