Un potentiel sous-exploité de 72 % des eaux profondes
Dans l’ombre des grands producteurs du Golfe de Guinée, le Gabon dispose d’un gisement d’opportunités encore largement inexploré. Selon les chiffres du ministère du Pétrole et du Gaz, 72 % de la surface en eaux profondes demeure vierge de tout forage, tandis que seuls 28 % des permis octroyés ont réellement débouché sur des opérations. Cette marge de progression ouvre la voie à une dynamique de croissance attendue par un marché mondial toujours avide de nouveaux barils, surtout dans un contexte de transition énergétique maîtrisée.
Le nouveau titulaire du portefeuille pétrolier, Sosthène Nguema, a fait de cette réalité géologique son principal levier stratégique. « Notre géographie maritime constitue une profondeur de souveraineté économique que nous devons convertir en richesse partagée », a-t-il déclaré à la presse spécialisée. Son ambition est claire : stabiliser la production au-delà de 220 000 barils par jour à court terme, puis viser le seuil psychologique du million de barils à l’horizon de la prochaine décennie, objectif jugé crédible par plusieurs analystes régionaux.
Réformes du Code des hydrocarbures : un signal pro-investissement
Pour transformer le potentiel géologique en flux financiers tangibles, Libreville s’attaque au cadre légal. Le Code des hydrocarbures adopté en 2019 avait déjà amélioré la visibilité fiscale des opérateurs en assouplissant les conditions de partage de production et en réduisant la ponction étatique sur les bénéfices. Désormais, le gouvernement indique vouloir aller plus loin afin de se démarquer d’autres provinces offshore en Amérique latine ou au Moyen-Orient, qui livrent une concurrence de plus en plus affutée.
Les groupes de référence de l’industrie ont accueilli ces intentions avec prudence mais intérêt. « Le Gabon envoie un message cohérent : il assume la nécessité de bonus compétitifs, d’une fiscalité plateau et d’une stabilité contractuelle renforcée », observe un cadre de l’International Association of Oil & Gas Producers. Ces ajustements, combinés à la mise en place d’un guichet unique pour l’octroi des licences, devraient raccourcir les cycles de décision, condition sine qua non pour mobiliser des capitaux exigeant un retour rapide sur investissement.
Opérateurs internationaux en première ligne de la relance
Les réformes législatives ont déjà trouvé un écho concret sur le terrain. BW Energy et VAALCO Energy ont signé en 2024 deux contrats de partage de production – Niosi Marin et Guduma Marin – assortis d’une campagne sismique 3D et d’un engagement de forage d’exploration. Ces contrats portent sur une période ferme de huit ans, extensible deux ans, traduisant la confiance des opérateurs dans la maturité technique du bassin sédimentaire gabonais.
Parallèlement, Perenco a annoncé le succès du puits Hylia South-West, tandis que la major chinoise CNOOC poursuit ses forages wildcat sur les blocs BC-9 et BCD-10, évaluant un potentiel récupérable de 1,4 milliard de barils. « Ces travaux constituent un électrochoc positif pour le segment deep-offshore d’Afrique centrale », souligne Verner Ayukegba, vice-président de l’African Energy Chamber, pour qui la multiplication des découvertes réduira le facteur risque et abaissera le coût du capital sur l’ensemble du littoral.
Vers un hub pétrolier et gazier régional
Tirer profit de la manne offshore suppose également un appareil industriel capable de traiter, stocker et exporter le brut et le gaz associés. Libreville a donc inscrit à son agenda la montée en puissance d’infrastructures stratégiques. L’extension de la raffinerie historique SOGARA, de 1,2 à 1,5 million de tonnes par an, vise l’autosuffisance en produits raffinés d’ici 2030, évitant ainsi les vulnérabilités liées aux importations.
Le projet de terminal flottant de gaz naturel liquéfié Cap Lopez, porté par Perenco pour un investissement de 2 milliards de dollars, complète ce dispositif. Capable de liquéfier 700 000 tonnes de GNL et 25 000 tonnes de GPL par an, le site répond à une double logique : monétiser le gaz jusque-là torché et alimenter en énergie une sous-région en pleine urbanisation. À terme, le Gabon espère se positionner comme plateforme de transit pour ses voisins, au premier rang desquels le Congo-Brazzaville, qui entretient des relations constructives avec Libreville dans le domaine des échanges pétroliers.
Les implications géopolitiques pour l’Afrique centrale
Le basculement gabonais vers l’eau profonde ne se réduit pas à une équation de flux de trésorerie. Dans un espace régional marqué par la volatilité des cours et des capacités de production hétérogènes, l’émergence d’un nouveau pôle d’exportation constitue un facteur de stabilisation. Les chancelleries européennes, à la recherche de fournisseurs diversifiés, observent avec intérêt cette montée en puissance, tout comme Brazzaville qui voit dans la future plateforme logistique gabonaise un débouché complémentaire pour ses propres cargaisons.
Libreville mise également sur la diplomatie énergétique pour consolider sa stature sur la scène internationale. L’adhésion récente à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives et la signature d’accords de coopération avec l’Organisation des producteurs africains de pétrole illustrent cette volonté de jouer collectif. Dans un contexte mondial de transition énergétique, la diversification des sources et des itinéraires d’approvisionnement contribuera à préserver l’équilibre politique et économique d’une Afrique centrale dont les potentialités, loin d’être antagonistes, apparaissent de plus en plus interconnectées.