Une déclaration virale qui dépasse le registre de l’anecdote
Le 20 mai dernier, date hautement symbolique de l’unité nationale camerounaise, une vidéo de vingt-deux secondes mise en ligne sur TikTok par Bijou Géraldine Ongmakagne Heu a enflammé les fils d’actualité régionaux. Devant un fond tricolore aux couleurs vert-rouge-jaune, l’influenceuse, suivie par plus de 300 000 abonnés, a solennellement affirmé « je serai candidate à la présidentielle de 2025 ». L’algorithme de la plateforme, amplifié par le hashtag #presidente, a propulsé la séquence à plus d’un million de vues en moins de trente-six heures, conférant à l’annonce une visibilité supérieure à plusieurs communiqués officiels récents du ministère camerounais de la Communication. Au-delà de l’effet viral, cette prise de parole signale la consolidation d’un espace politique numérique qui s’affranchit des cénacles partisans traditionnels.
Le prisme juridique : entre exigence constitutionnelle et innovation citoyenne
La Constitution de 1996, complétée par la loi électorale de 2012, oblige tout prétendant à la magistrature suprême à réunir un nombre significatif de parrainages parlementaires ou à être investi par un parti légalement constitué. À ce jour, Mme Ongmakagne Heu ne se réclame d’aucune formation enregistrée auprès du ministère de l’Administration territoriale. Son équipe — embryonnaire mais visible sur les réseaux — assure toutefois disposer d’« engagements formels » de parlementaires d’opposition (source interne confiant sous couvert d’anonymat). Si ces appuis venaient à se confirmer, la procédure resterait conforme au droit positif. Dans le cas contraire, la candidate devrait soit créer un mouvement politique, soit nouer une alliance stratégique avant le dépôt des dossiers prévu par Elections Cameroon entre juin et juillet 2025.
Une dynamique générationnelle encore fragmentée
Le segment des 18-35 ans représente plus de 60 % de l’électorat potentiel, mais demeure sous-représenté dans les urnes. Les sondages réalisés par Afrobarometer en 2023 montrent qu’à peine 32 % des primo-votants s’identifient à un parti. La candidature Ongmakagne Heu mobilise un répertoire lexical — inclusion, entrepreneuriat, éducation numérique — susceptible de résonner auprès d’une jeunesse urbaine, connectée et désireuse de renouveler la classe dirigeante. Cependant, le taux de pénétration d’Internet plafonne à 46 %, tandis que l’accès irrégulier à l’électricité ruralise partiellement le discours digital. La capacité de la candidate à traduire son capital d’audience en assises territoriales concrètes constituera donc un test décisif.
Économie politique de l’influence : du like au vote
La monétisation des contenus sur TikTok, ajoutée aux partenariats publicitaires, offrirait à la prétendante une source de financement alternative aux circuits bancaires classiques. Or, la Commission nationale de campagne impose une traçabilité stricte des fonds, révélant un terrain miné entre compliance et marketing d’influence. Des juristes du barreau de Douala rappellent qu’« un don provenant d’une entreprise étrangère, y compris une plateforme numérique, tombe sous le coup de l’interdiction des contributions externes ». Une prudence comptable s’avère donc essentielle pour éviter une disqualification sur la base d’un vice de forme.
Perceptions diplomatiques et échos sous-régionaux
À Abuja, Libreville et Brazzaville, on observe avec curiosité cette irruption d’une figure issue de la société civile 2.0. Un conseiller du ministère congolais des Affaires étrangères souligne que « la stabilité du Golfe de Guinée passe par des processus électoraux pacifiques, quelle que soit la configuration des candidatures ». En filigrane, les chancelleries évaluent le risque d’un précédent susceptible d’encourager d’autres outsiders dans un contexte où les transitions constitutionnelles cristallisent parfois des tensions. Jusqu’à présent, aucun communiqué officiel n’a exprimé de réserve à l’égard de la déclaration d’intention de Mme Ongmakagne Heu, reflétant une attitude d’attente prudente.
Le paradigme sécuritaire à l’ombre d’un agenda électoral chargé
Le Cameroun demeure confronté à une double menace sécuritaire : la persistance de Boko Haram au Nord-Ouest et les résurgences sporadiques de la crise anglophone. Dans ce contexte, la tenue d’une campagne numérique pourrait être perçue comme un avantage logistique, limitant les déplacements physiques dans les zones sensibles. Pourtant, la défiance envers la véracité des informations circulant en ligne nourrit la prolifération des deepfakes et de la désinformation. L’Agence nationale des technologies de l’information prévoit de déployer une cellule ad hoc de cybersurveillance durant le scrutin. La question, non triviale, sera de déterminer la frontière entre régulation et censure.
Narratif, symboles et storytelling politique
Bijou Géraldine Ongmakagne Heu se présente comme « fille de commerçante, mère et entrepreneure », un triptyque identitaire qui fait écho aux valeurs de résilience économique vantées par les programmes de développement nationaux. Son slogan « Du marché au palais » réactive l’imaginaire d’une méritocratie ascendante, tout en brouillant la frontière entre autopromotion personnelle et message programmatique. Le chercheur Éric-Pierre Massa, spécialiste des communications politiques, estime que « la puissance de la narration repose sur sa simplicité : une citoyenne ordinaire qui défie les codes du jeu ». Reste à vérifier si la narration résistera à l’épreuve des débats télévisés où la granularité programmatique prime sur la punchline.
Vers 2025 : scénarios, inconnues et champ des possibles
À dix-huit mois du scrutin, la Commission électorale n’a enregistré aucune candidature officielle ; la phase actuelle demeure celle des déclarations d’intention. Trois variables se dessinent : la consolidation de réseaux de soutien parlementaires, la conformité financière de la campagne numérique et la capacité à traduire un engagement virtuel en mobilisation physique le jour du vote. Pour l’heure, la présence de Mme Ongmakagne Heu semble davantage redistribuer l’attention médiatique que l’équilibre des forces partisanes traditionnelles. Néanmoins, son initiative rappelle qu’une nouvelle grammaire politique, articulant réseaux sociaux, revendications générationnelles et exigence de transparence, s’insinue désormais dans l’espace public camerounais, ouvrant un champ des possibles que la région tout entière suit de près.