Le Sahel en quête de bande passante
Entre Bamako et N’Djamena, l’accès fiable à l’Internet mobile reste une denrée plus rare que la mousson. Alors que la population du Sahel franchira le cap des 150 millions d’habitants avant 2030, la couverture 4G actuelle oscille autour de 25 % selon les estimations de l’Union internationale des télécommunications. Dans cette zone parfois qualifiée de « trou noir numérique », l’annonce d’un prêt de 3,7 milliards de dirhams – soit 370 millions d’euros – de la Société financière internationale (IFC) en faveur de Maroc Telecom vient rompre la litanie des statistiques déprimantes.
Un prêt de l’IFC qui dépasse la simple logique commerciale
Le financement, bouclé le 19 juin 2025, s’inscrit dans le programme de l’IFC visant à soutenir les « champions régionaux » capables de diffuser l’investissement privé dans les États fragiles. Pour Makhtar Diop, directeur général de l’institution, « la transformation numérique doit devenir irréversible, même là où l’instabilité semble chronique ». Derrière le chèque, l’IFC déploie son arsenal de garanties contre le risque politique, de conseils en structuration et de dispositifs de conversion possible en monnaie locale, réduisant l’exposition aux brusques dépréciations du franc CFA.
Maroc Telecom, nouveau champion régional de la connectivité
Fort de ses dix filiales africaines, l’opérateur casablancais nourrit depuis plusieurs années l’ambition de se muer en épine dorsale numérique de l’Afrique de l’Ouest. « Nous voulons offrir à une jeunesse ultra-connectée le même débit qu’à Casablanca ou Rabat », confie son directeur général, Mohamed Benchaaboun. Le prêt de l’IFC permettra de moderniser 1 800 sites radio existants et d’en construire près de 600 supplémentaires au Tchad et au Mali, marquant une accélération de son programme d’expansion lancé en 2022.
Entre inclusion financière et sécurité numérique, le double pari de la 4G
Au-delà de la vitesse de téléchargement, la 4G porte une promesse d’inclusion financière dopée au Mobile Money. Dans des pays où moins de 20 % des adultes disposent d’un compte bancaire, le smartphone devient guichet, livre de comptes et, potentiellement, embryon d’identité numérique. Le ministère malien de l’Économie estime que la généralisation des paiements mobiles pourrait ajouter 1 point de PIB annuel à l’économie d’ici 2027. Mais la connectivité ne se réduit pas à une équation de croissance : elle impose des infrastructures de cybersécurité afin de protéger données personnelles, recettes fiscales et même communications militaires. L’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information du Tchad plaide déjà pour un centre d’alerte mutualisé, preuve que la question dépasse désormais les opérateurs.
Impact diplomatique et perspectives d’intégration continentale
Sur la scène régionale, la France, la Chine et désormais le Maroc croisent leurs câbles sous le sable. Le soutien de la Banque mondiale à une entreprise marocaine, membre de la sphère économique chérifienne, confère à Rabat un levier d’influence supplémentaire face aux opérateurs soudanais ou nigérians, tout en rassurant les bailleurs occidentaux qui cherchent une alternative à la domination asiatique dans les télécoms. L’initiative s’aligne aussi sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui prône la création d’un marché numérique unique et sécurisé avant la fin de la décennie.
Si le calendrier reste ambitieux, la contribution de Maroc Telecom au maillage régional pourrait devenir un cas d’école : une opération méticuleusement financière, subtilement diplomatique et in fine politique. À la croisée des stratégies de développement national, de l’intégration économique continentale et des considérations sécuritaires, la fibre optique se fait instrument de gouvernance. La réussite – ou l’échec – de ce pari de 370 millions d’euros donnera un signal clair aux autres investisseurs : le désert peut-il enfin devenir une autoroute numérique, ou restera-t-il un horizon toujours repoussé ?