Heritage pharaonique dans le lexique kikongo
Lorsqu’un diplomate compare le terme égyptien antique « Nefer », qui signifie le beau, avec l’expression kuni « ku nièfe », il découvre plus qu’une simple coïncidence phonétique : il rencontre une filiation culturelle qui interroge l’histoire profonde des peuples bantous et nourrit l’idée d’une matrice linguistique partagée entre le Nil et le Congo.
Cette parenté, observée depuis les travaux pionniers de Cheikh Anta Diop, alimente aujourd’hui les programmes culturels soutenus par Brazzaville, lesquels visent à consolider une identité africaine inclusive sans jamais nier la diversité des héritages nationaux et à promouvoir le dialogue entre chercheurs, artistes, diplomates, entrepreneurs, et étudiants hautement compétents internationaux.
Dans ce cadre, l’étude comparative du kisikongo et de l’égyptien ancien n’est pas seulement académique ; elle devient un outil géopolitique, capable de renforcer la voix de l’Afrique centrale dans les fora multilatéraux axés sur le patrimoine immatériel et soulignant les convergences plutôt que les discontinuités historiques.
Confluences entre Ptah et l’art kongo
Le nom féminin kuni « Pata » illustre clairement ces passerelles. Dans le vocabulaire local, pata signifie enduire l’argile pour façonner. Or, dans la vallée du Nil, Ptah est le dieu artisan, celui qui modèle le monde par le verbe, selon les textes de Memphis et inspire encore certains sculpteurs.
Les linguistes rappellent qu’en écriture hiéroglyphique, les voyelles ne sont pas notées, autorisant diverses vocalisations. Ainsi, P-T-H peut devenir Pata, Pothé ou Pothéah, sans altérer le socle consonantique. Cette plasticité éclaire la circulation d’un même concept créateur entre Nil et bassin du Congo au fil des siècles.
Au Marché des arts de Brazzaville, plusieurs potières kuni affirment, sourire aux lèvres, « pata » leurs vases dès l’aube. Leur récit, bien que profane, rejoint les mythes pharaoniques étudiés par l’égyptologue Bernard Mathieu, établissant une filiation pratique entre gestuelle artisanale et cosmogonie dans une continuité vécue plutôt que spéculée.
Akhet-Aton, l’hébreu naissant et les pistes bantoues
Le dossier devient plus politique en évoquant Akhet-Aton, la capitale éphémère qu’Akhenaton dédia au dieu solaire Aton. C’est là, rappellent des archives du Louvre, qu’un idiome de contact, ancêtre présumé de l’hébreu, aurait foisonné parmi les ouvriers levantins et nubians avant de se répandre vers Canaan puis Jérusalem.
Le renversement de ce complexe religieux par le vizir Aï entraîna une expulsion brutale des partisans d’Aton. Cette hâte rappelle, dans une moindre mesure, certains déplacements contemporains de populations, soulignant l’enjeu stratégique qu’une sémantique commune peut offrir aux négociations de retour où les récits partagés facilitent la réconciliation.
Si l’on suit la piste linguistique, le verbe kuni « pothé », signifiant enduire ou embrasser, converse avec l’hébreu « pothéah », ouvrir. Le geste d’ouvrir rejoint celui d’enduire : dans les deux cas, on prépare un espace, physique ou mental, pour accueillir l’autre, une métaphore appréciée des médiateurs franco-congolais en mission régionale.
Grâce à ces échos, les chancelleries considèrent la linguistique comparée comme un levier d’influence douce. Brazzaville, en soutenant des colloques mixtes avec Le Caire et Kinshasa, étend son réseau d’alliances tout en cultivant une narration continentale ancrée dans des faits philologiques mesurables, garantissant crédibilité académique et retombées politiques équilibrées.
Symbolique de Sekhmet et vision kuni
Autre rencontre frappante : Sekhmet, l’épouse de Ptah, dépeinte en lionne guerrière. En kuni, le verbe « sekmè » renvoie au phénomène de stabilisation d’un liquide. Stabiliser et protéger, deux attributs cohérents avec l’idée d’une lionne gardienne de l’ordre cosmique que les chefs traditionnels invoquent encore lors des pactes communautaires solennels.
Le vétérinaire congolais Jean-Baptiste Makaya note que la lionne, dans les savanes du Kouilou, régule effectivement les écosystèmes en sélectionnant ses proies. La mythologie rejoint donc la biologie, offrant un langage commun aux protecteurs du patrimoine et aux stratèges de la sécurité qui évoquent souvent la doctrine Sekhmet.
De fait, les académies militaires congolaises glissent désormais des modules sur le symbolisme animal dans le maintien de la paix. L’objectif n’est pas exotique : il s’agit de comprendre comment les imaginaires collectifs influencent la perception des forces régulières et des groupes armés, ouvrant la voie à des doctrines préventives.
Implications diplomatiques pour l’unité africaine
Au-delà de l’érudition, la mise en lumière de ces convergences soutient l’agenda 2063 de l’Union africaine, axé sur la renaissance culturelle. Le Congo, siège de l’ACALAN pour les langues bantoues, capitalise sur son kisikongo pour plaider un multilinguisme continental ordonné et compatible avec les exigences diplomatiques contemporaines.
Selon la chercheuse camerounaise Elodie Essama, l’argument linguistique permet d’atténuer les rivalités frontalières car il rappelle une matrice partagée. Dans les commissions mixtes, ce rappel ouvre des espaces de concession, y compris sur des questions aussi sensibles que la gestion transfrontalière des bassins fluviaux et l’accès aux ports.
En définitive, l’exemple de Nefer, Pata et Sekhmet démontre que les mots voyagent plus longtemps que les dynasties. En les étudiant, Brazzaville renforce sa diplomatie culturelle, propose un récit africain positif et contribue, sans heurts, à la stabilité régionale si précieuse aux yeux des partenaires bilatéraux et multilatéraux.